Loi «Séparatisme» : l’islamophobie d’État décomplexée


Derrière le prétexte de la laïcité, cette loi qui reprend la rhétorique d’extrême droite vise directement la communauté musulmane


Juste après l’assassinat de Samuel Paty, le gouvernement annonce l’écriture d’un projet de loi contre les « séparatismes », qui sera ensuite rebaptisé « confortant le respect des principes de la République ». La lecture de ce projet ainsi que celle de l’étude d’impact produite par le gouvernement amènent à une conclusion simple : cette loi est une loi scélérate.

L’exposé des motifs est révélateur de l’esprit du projet de loi. La République y est magnifiée et vu comme le seul horizon harmonieux existant. Or, cette République s’est installée dans le sang. En 1871, la Commune de Paris est écrasée par l’État, dans un véritable massacre. Cet épisode sanglant est suivi de la proclamation de la IIIe République, qui peut s’asseoir paisiblement après les meurtres et les déportations de celles et ceux qui ont lutté pour la liberté. La République a également tout fait pour préserver et étendre son empire colonial. L’indépendance des Etats colonisés n’a été acquise que par d’âpres luttes des opprimé.e.s qui ont contraint le gouvernement français à accorder l’indépendance. Et encore, celui-ci a œuvré de façon à maintenir sa domination sur lesdits Etats. Enfin, la République française a envoyé ses soldats à l’étranger à des nombreuses reprises ; on pense, pour la période la plus récente, en Afghanistan, au Sahel ou en Libye. Cette République n’est donc guère désirable.

Les rapporteurs de la loi voient un danger qui menacerait cette sublime République, à savoir un « entrisme communautariste d’inspiration islamiste ». Sans donner la moindre définition de cet ennemi, à part une précision : « dont le but est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune que nous nous sommes librement donnés ». C’est tout de même assez vaste et peu précis. Il s’agit de désigner un ennemi flou, mal défini, qui alimente des fantasmes et des peurs. En l’occurrence, il s’agit de désigner les musulmans comme étant susceptibles d’avoir des discours amenant au terrorisme, justifiant par là une focalisation sécuritaire sur les musulman.e.s. L’islamophobie de ce projet de loi est patente.

Par cette rhétorique, le gouvernement français insinue que, face au « communautarisme », il existe une belle République, unie, indivisible, derrière laquelle se range le peuple français. C’est un procédé classique : dans un contexte de crise sanitaire, où le gouvernement craint une crise sociale explosive, il doit rassembler ses sujets. Pour ce faire, il invoque la Nation. Il diffuse l’idée selon laquelle le danger vient des « communautaristes », des « séparatistes », musulman.e.s, et que face à eux, seule la Nation française peut résoudre le problème. Par cette fiction de la nation française, le gouvernement Macron (comme d’autres avant lui) se réfère encore une fois au répertoire de l’extrême droite. Génération Identitaire se reconnaît dans ces propos. Il fait ainsi oublier à toutes et tous ses propres incuries, son incompétence et sa cruauté. En se servant des musulmans comme boucs émissaires, il renforce son arsenal de surveillance de l’ensemble de la population. Que celles et ceux qui préféreraient se dire qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, on peut bien s’en prendre un peu aux musulmans se mettent dans la tête que demain, ce dispositif sécuritaire leur tombera dessus comme un couperet. Et qu’il sera trop tard pour réagir.

Le contenu de la loi est assez lourd, nous vous en livrons ici une petite partie afin d’en saisir les grandes lignes.

Plusieurs articles rappellent et renforcent avec insistance l’obligation de neutralité et de laïcité dans les services publics, ainsi que dans les organismes privés chargés d’une mission de service public. Soulignons que la neutralité ne concerne pas que les opinions religieuses, mais également les opinions politiques. Cela donne une arme supplémentaire à l’État pour contrôler les activités politiques dans les services publics.

Il est aussi prévu de renforcer le contrôle fiscal des associations subventionnées, en imposant un « contrat d’engagement républicain » : si les assos ne respectent pas les valeurs de liberté, égalité, fraternité, dignité humain et sauvegarde de l’ordre public, elles peuvent se voir retirer les subventions. Il en va de même pour les fédérations sportives.
Dans la même logique de renforcer le contrôle, les fonds de dotation, les organismes à but non lucratif, les assos cultuelles, se voient imposer des obligations particulières, et le préfet a des prérogatives de contrôle renforcées.

Par ailleurs, les possibilités de scolarisation non conventionnelle, ou à la maison, sont extrêmement réduites. Ceci sous prétexte que beaucoup d’enfants seraient éduqué dans des écoles confessionnelles, symbole d’un repli communautaire. De la même façon, les établissements privés sont visés. Si l’on peut défendre l’idée d’une éducation publique et gratuite, il n’en demeure pas moins que l’obligation de déclarer au recteur les noms, prénoms, âge, nationalité et titre de TOUS les personnels de l’établissement semble excessive. En outre, les financements de ces établissements peuvent être particulièrement surveillés par les autorités publiques.

Il importe de faire un petit aparté : en dehors des obligations, notamment autour de la déclaration de financements et des comptes en général, qui vont peser sur tous les organismes précités, le contrôle plus poussé sera à la charge du préfet…s’il le souhaite. Ce qui signifie qu’il pourra choisir les types d’organismes qu’il veut contrôler. Tout dépendra donc de son humeur, de ses choix politiques ou de ses envies du moment.

La dissolution administrative des associations ou groupements de fait est largement facilitée.

De nouvelles infractions pénales sont créées, au nom de la lutte contre la haine notamment sur internet. Elles incriminent non des actes mais des propos, même si aucun résultat matériel ne se produit.

Le fichier FIJAIT, qui ne concerne au départ que les auteurs d’actes de terrorisme, est étendu aux personnes inculpées pour apologie du terrorisme et provocation au terrorisme. Même si aucun passage à l’acte n’est à déplorer.

Il y a encore beaucoup à en dire. Disons globalement que l’effet de ces mesures sera de donner des pouvoirs importants aux préfets pour surveiller voire dissoudre les associations qu’il a dans le viseur en fonction de ses choix politiques. La création de nouvelles infractions va également dans le sens de plus de répression, de contrôle, de surveillance.

La lecture de l’étude d’impact montre que ce qui est visé, ce n’est pas le terrorisme, mais les discours qui peuvent inciter au passage à l’acte. C’est, en fait, un contrôle de la parole et de la pensée qui est mis en place. Par cette loi, le pouvoir renforce considérablement son arsenal sécuritaire, en se servant des musulman.e.s comme boucs émissaires, comme abritant le terrorisme et ses discours. Dans la mesure où cette rengaine nous est assénée quotidiennement et que de nombreuses dispositions légales ont été adoptées sous cette justification, comment ne pas se rendre compte que ce n’est que de la poudre aux yeux ?


La technique du bouc émissaire est rouillée. Ne nous laissons pas balader par un pouvoir qui n’a pour but que de se maintenir. Renversons-le !


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