C’est d’abord dans la revue du Crieur, en 2018, qu’est paru l’article de Mathieu Rigouste : “La police du futur, de la surveillance généralisée à l’autocontrôle”. Il y décryptait les dernières innovations technologiques de l’industrie militaro-policière présentée lors du salon Milipol à Paris.
Basé sur ce travail, le dernier livre de Mathieu Rigouste “La police du futur, le marché de la violence et ce qui lui résiste” présente un état des lieux, à l’aune de la pandémie, du business des armes et équipements qui imposent toujours plus de contrôle pour faire de nous une population “qui se tient sage”.
Le salon Milipol qui se déroule à Paris est organisé sous la protection du Ministère de l’Intérieur et présidé par le préfet Yann Jounot, également coordonnateur du renseignement auprès du Président. Milipol c’est le salon où Zemmour a pu se mettre en scène en train de viser des journalistes avec un fusil du RAID pendant qu’un policier lui expliquait que ces armes le protégeront lorsqu’il sera président. Le ton est donné.
Milipol ce sont en tout “30.000 professionnels de la sécurité publique et privée venus de 150 pays, autour d’un millier d’exposants, parmi lesquels un tiers d’entreprises françaises”. Le lien est donc étroit entre État et entreprises privées ou industries semi-publiques, très lucratives : en 2017, Gérard Collomb annonçait sa volonté de doubler le chiffre d’affaires de ce secteur d’ici 2025. Et l’État, avec l’argent public, a investi environ 3,6 milliards d’euros en 2020, avec notamment une nette progression pour les drones de surveillance pendant la pandémie.
Les technologies de l’armement, de la surveillance, et les innovations en matière d’intelligence artificielle et de robotique (qui s’inspirent du monde militaire) prennent de plus en plus de place dans notre quotidien : “le domaine policier réfléchit aux moyens de légitimer l’armement des robots de contrôle”. Robots policiers, voitures autonomes, nouvelles armes dites “intermédiaires” qui, loin d’être non létales, augmentent en réalité le degré de violence. De façon générale, le matériel utilisé par les militaires se retrouve entre les mains des policiers.
C’est comme ça qu’à Nantes on peut voir depuis quelques années une police équipée de fusils d’assaut. Mais le policier du futur c’est surtout un policier “connecté” voire “augmenté”. Les firmes investissent dans la recherche médicale et l’utilisation des nanotechnologies pour renforcer les capacités et performances physiques. Des fantasmes dignes de scénarios de science-fiction et pourtant bien réels.
Pour inscrire ces évolutions dans notre quotidien et en faire un marché lucratif, il convient de les rendre acceptables voire désirables. Ainsi de nombreuses campagnes de communication sont mises en place par l’armée et la police. Il n’est pas rare de voir des affiches de l’armée sur les panneaux publicitaires. Dans cette même volonté, à Nantes, un évènement a vu le jour : “Le village de la sécurité” installé place Royale, en plein cœur du centre-ville. Durant tout un samedi, l’armée, la police et la gendarmerie se mettent en scène pour faire la promotion de leurs métiers et de leur équipement. On peut y voir toutes leurs armes et faire monter nos enfants sur leur moto. On peut même assister au “spectacle” d’une interpellation. La police du futur passe aussi par le contrôle de la ville, l’objectif de la “smart and safe city”, la “gestion numérique centralisée de l’espace public”.
Ce concept repose totalement sur la surveillance et le contrôle social. En France, Nice et Marseille font office d’exemples avec des tentatives telles que les portiques à reconnaissance faciale à l’entrée des lycées des quartiers populaires, véritables zones à contrôler, et la mise en place d’un réseau de surveillance centralisé au service de la police. Heureusement des résistances existent, notamment via la Quadrature du Net. Pourtant de nombreuses villes se dotent désormais d’un réseau de vidéosurveillance, et Nantes ne fait pas exception. De son côté Huawei, entreprise chinoise bien connue pour ses smartphones, a pu fournir gratuitement ses technologies de vidéosurveillance intelligente à la police municipale de Valenciennes. Mathieu Rigouste y voit le fameux panoptique carcéral étudié par Michel Foucault : “Le fantasme de pouvoir tout voir et de le faire savoir pour générer de l’autocontrôle”.
C’est dans cette logique que se déploient des dispositifs policiers de plus en plus visibles dans les villes. Il suffit de traverser le centre-ville de Nantes pour voir aujourd’hui cinq ou six voitures de flics quadriller la croisée des trams à Commerce et s’exhiber outrageusement en circulant sur les lignes du tramway. La surveillance est omniprésente et les dispositifs de contrôle se développent comme dans les pires récits d’anticipation : satellites de surveillance, lunettes à reconnaissance faciale, ballons dirigeables capables de “scanner le territoire” en 3D, canons à son, caméras sur les chiens policiers, et même le puçage électronique du vivant.
Les policiers sont dotés d’Imsi-catchers qui, via des antennes relais, sont capables de “voir à l’intérieur” des ordinateurs et téléphones à proximité. Les drones peuvent désormais aussi en être équipés. Les polices des frontières utilisent évidemment largement ces technologies contre les populations exilées, en Méditerranée mais aussi à Calais. Le plus effrayant reste la recherche sur les technologies d’implants numériques capables de diriger le système nerveux. “Les applications médicales légitiment ainsi le développement de nouvelles technologies qui glissent ensuite dans l’industrie militaire puis policière.”
Enfin Mathieu Rigouste revient sur “la sécurité des grands événements”, à savoir les crises antiterroristes et sanitaires, ainsi que la gestion d’événements tels que les JO. Ceux-ci permettent en effet d’étendre et de faire accepter des mesures liberticides. Le Conseil de défense a récemment poussé ces mesures jusqu’à l’autocontrôle via les attestations de sorties et la substitution au flicage avec le pass sanitaire puis vaccinal. En résumé une population qui accepte de s’auto-surveiller. La gestion du Covid a permis de contourner toutes les réglementations pour appliquer des technologies sécuritaires qui viennent en même temps enrichir les industries qui les produisent. Et cela va encore plus loin avec la domotique : la gestion et surveillance numérique de l’espace domestique. Ces gestions et surveillances numériques de l’espace domestique, des technologies qui s’insinuent jusque dans notre intimité.
Il y a fort à parier que les crises climatiques et politiques qui s’annoncent renforcent ces scénarios en devenir, à moins d’une résistance efficace. Comme le souligne Mathieu Rigouste dans son livre, malgré les ambitions délirantes des politiciens et industriels, de nombreux projets ont déjà été stoppés grâce à l’implication d’associations et de collectifs.
Et pour aller plus loin :
- Technopolice : défaire le rêve sécuritaire de la safe city, de Claire Richard et Louise Druhle, éditions 369.
- La société de vigilance, auto-surveillance, délation et haine sécuritaire, de Vanessa Codaccioni aux éditions Textuel.
- Nous sommes en guerre, de Pierre Douillard-Lefevre, éditions Grevis