Série d’attaques gravissimes contre la pluralité médiatique et la liberté d’expression
Vendredi 18 novembre 2022, le tribunal de Paris a ordonné, sans audience ni débat contradictoire, la censure préalable d’une enquête de Médiapart. Dans la foulée, un huissier se présentait au siège du média pour signifier aux journalistes qu’il leur est interdit de publier leur article «sous astreinte de 10.000 euros par extrait publié». Cette atteinte à la liberté de la presse est inédite depuis le 19ème siècle. Médiapart écrit : «à notre connaissance, jamais ce moyen exceptionnel n’a été utilisé dans une affaire de presse, c’est du jamais-vu dans notre histoire républicaine depuis la loi du 29 juillet 1881», date à laquelle le droit d’information et la liberté d’expression a été protégé par la loi.
Quel est l’article censuré ? Des révélations sur les pratiques du maire de Saint-Étienne, l’élu de droite Gaël Perdriau, qui avait fait chanter l’un de ses adjoints avec une sextape filmée à son insu. Pour justifier la censure, le tribunal invoque «une atteinte à la vie privée». Alors même que c’est ce maire, accusé de chantage et d’humiliations, qui a lourdement porté atteinte à la vie privée pour obtenir du pouvoir politique ! Et Médiapart n’a même pas pu défendre ses droits. Cette affaire s’inscrit dans une longue série d’attaques gravissimes contre la liberté de la presse.
Excuses du Monde
Début septembre 2022, un chercheur en science politique évoquait dans les colonnes du Monde la visite de Macron en Algérie. Lors de ce déplacement, le président avait sorti une énormité face aux caméras : il avait qualifié les relations entre la France et l’Algérie d’une «histoire d’amour qui a sa part de tragique». Macron avait également récusé toute «repentance» pour la colonisation. L’auteur de la tribune du Monde analysait la «droitisation» de Macron à propos de la mémoire de l’Algérie et invitait à une «lutte ambitieuse contre les haines racistes». Le lendemain, Le Monde annonçait la suppression de la tribune et présentait publiquement ses excuses au président de la République. Un grand journal qui se prosterne devant le monarque pour un crime de lèse majesté. Ahurissant.
Police politique
En 2019, la journaliste Ariane Chemin, reporter au quotidien Le Monde, était convoquée par les services de renseignement. C’est elle qui avait diffusé les premières informations sur l’affaire Benalla. C’est elle aussi qui avait réalisé des articles sur les réseaux mafieux qui entourent Benalla, au sommet de l’État, dans les cercles de l’Élysée. Cette convocation en disait déjà très long sur le sentiment de toute puissance du gouvernement. Dans le cadre de l’affaire Benalla, des policiers avaient aussi tenté de perquisitionner les locaux de Médiapart le 4 février 2019. Une atteinte inédite à l’époque contre la presse. 3 ans plus tard, un tribunal a condamné cette tentative, jugeant qu’elle n’était «ni nécessaire dans une société démocratique ni proportionnée à l’objectif poursuivi».
Ventes d’armes
Toujours en 2019, le média d’investigation Disclose a travaillé sur les armes vendues au Yemen. Un énorme scandale : le gouvernement avait menti, en prétendant qu’aucune arme française n’était utilisée dans la guerre atroce menée au Moyen Orient. Les journalistes avaient démontré que la France avait vendu pour 1,4 milliards d’euros d’armes à l’Arabie Saoudite, qui massacre des dizaines de milliers de civils au Yemen. Un mensonge d’État. Non seulement la Ministre de la Défense n’a pas démissionné mais au contraire Macron avait dit «assumer» ces ventes d’armes. Et les journalistes qui ont révélé l’affaire ont été convoqués par la DGSI. Une enquête est ouverte contre eux pour «compromission du secret de la défense nationale». L’antiterrorisme contre des journalistes.
Surveillance
Entre 2015 et 2016, François Ruffin et son journal Fakir ont été espionnés. Ce journal enquête régulièrement sur les grandes fortunes, et en particulier celle de Bernard Arnault, le milliardaire le plus riche de France et parton de LVMH. Les mails privés, les informations personnelles, l’organisation du journal : tout a été espionné. Plus intéressant : celui qui supervisait cette opération illégale de surveillance d’un journal s’appelle Bernard Squarcini. Proche de Sarkozy, ancien chef des services de renseignement et actuellement au service de LVMH. Entre une milice privée patronale et la police d’État, il n’y a même plus l’apparence d’une séparation.
Enquêtes déprogrammées
Le 6 octobre 2022 le tribunal de commerce de Nanterre, au nom du secret des affaires, a condamné le média Reflets.info. Le site avait démontré que le milliardaire Patrick Drahi avait menti devant les sénateur lors d’une audition, en affirmant qu’il n’avait pas de société au Panama. La justice a même interdit au média de publier «de nouvelles informations» sur le milliardaire. Une première : la loi de Macron sur le secret des affaires permet officiellement de censurer la presse. En 2016 déjà, une enquête de Canal+ sur l’évasion fiscale au sein du Crédit Mutuel avait été déprogrammée par le milliardaire Bolloré qui venait de racheter la chaîne.
Monopole
Bolloré, Drahi, Arnault, Dassault, Pinault… neuf milliardaires se partagent 90% des quotidiens nationaux vendus en France et la majorité de l’audience télé. Durant la campagne présidentielle, l’écrasante majorité du temps de parole a été offerte aux candidats de droite et d’extrême droite, et la quasi totalité des sujets abordés par les médias dominants recoupent les thèmes de prédilection de l’extrême droite. Une étude révèle qu’à peine 30% de la population déclare encore «faire confiance aux médias». Un taux comparable à celui de la Slovaquie et la Hongrie.
Démocratie défaillante
Amnesty International a dénoncé la France à plusieurs reprises pour sa «répression des manifestations pacifiques» et ses entraves à la «liberté d’expression». En 2021, une tribune signée par 23 intellectuels reconnus mondialement s’affolait du «recul de la démocratie en France» en particulier des lois autoritaires et des mesures racistes, qualifiées de «menace pour la liberté dans le monde». Une étude du journal The Economist s’alarmait d’un «énorme recul des libertés démocratiques», classant la France dans la catégorie des «démocraties défaillantes».
La France est désormais un régime hybride, où les rares médias non-contrôlés par les ultra-riches sont censurés, quand il ne sont pas directement menacés de dissolution. Un pays où toute expression de rue est réprimée. Face à cette situation, il est vital de soutenir massivement les médias indépendants et d’organiser de véritables contre pouvoirs. C’est possible, en sortant de la tétanie générale : ils ont le chiffre, on a le nombre.
L’analyse de Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/211122/un-magistrat-ordonne-la-censure-prealable-d-une-enquete-de-mediapart
Une réflexion au sujet de « Censure de Médiapart : la liberté de la presse, un vieux souvenir ? »
Les commentaires sont fermés.