En France, les dominants ont peur d’un simple jeu antifasciste
C’est un jeu de société baptisé «Antifa», créé par le collectif militant La Horde et édité par la maison Libertalia, qui publie de nombreux ouvrages passionnants. Le principe est simple : un plateau avec des pions, des cartes, des règles qui prennent une teinte politique. «Propos racistes, manifs homophobes, violences fascistes, ça suffit : contre l’extrême droite, à vous de jouer !» expliquent ses créateurs et créatrices : c’est «un jeu de simulation et de gestion dans lequel vous faites vivre un groupe antifasciste local, dans lequel chaque joueur ou joueuse interprète un·e militant·e, avec des compétences particulières.»
Le jeu circule depuis un certain temps dans les réseaux militants. Mais c’est le député d’extrême droite Grégoire de Fournas – celui qui a été exclu de l’Assemblée avoir hurlé une phrase raciste contre un député noir de la NUPES – qui lui a fait une pub inattendue. Dans un tweet, l’élu frontiste écrivait : «Case 1 : “je bloque une fac” Case 2 : “je tabasse un militant de droite” Case 3 : “j’attaque un meeting du RN” Case 4 : “je lance un cocktail Molotov sur les CRS”» et intimidait la FNAC, qui commercialise le jeu. Absolument tout est faux dans ce tweet, aucune case ne comporte ces mentions, mais peu importe. L’outil préféré des fascistes, c’est le mensonge.
Peu après, le «Syndicat des Commissaires de la Police Nationale» menaçait à son tour la FNAC, évoquant «les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations». Un député raciste, des policiers d’extrême droite. La FNAC aurait pu ignorer leur délire, voire même dénoncer leurs mensonges, mais non. La chaîne de magasins s’est immédiatement excusée et a retiré le jeu de ses rayons.
Cette mise en lumière aura permis une vaste diffusion du jeu. Des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux ont annoncé vouloir se le procurer. Ce mardi, l’éditeur Libertalia annonce qu’il est en rupture de stock et que des exemplaires sont en réimpression. Joli but contre leur camp pour les fachos.
Mais il n’en reste pas moins que cet événement est inquiétant. Dans les rayons de la FNAC, on retrouve littéralement des ouvrages qui appellent à la guerre civile et à une société fasciste, notamment les livres de Zemmour ou de Renaud Camus, inventeur du concept de «grand remplacement», ou encore ceux du national socialiste Alain Soral. À la FNAC, on trouve même des textes de Benito Mussolini ou encore l’ouvrage Mein Kampf d’Adolf Hitler, dont la diffusion a récemment été ré-autorisée. Mais c’est un jeu contre le racisme qui est censuré.
L’année dernière, une marque de jus de fruits voulait commercialiser des smoothies baptisés «rentrée 2021», reprenant les codes de graffitis lycéens sur les bouteilles : «fuck le système», «Alice file moi ton 06», ou encore «Acab». Du marketing adolescent vide de sens politique, mais insupportable pour le syndicat d’extrême droite Alliance. Condamnation au sommet de l’État, indignation en direct sur les grandes chaînes d’infos : le smoothie est retiré des rayons en un temps record ! Quelques semaines plus tôt, le même syndicat réclamait la censure de Nantes Révoltée pour une série d’affiches parodiques se moquant du recrutement de la police. La même année, une plainte était déposée contre le candidat Philippe Poutou pour avoir dit une vérité : «la police tue». À Lyon, c’était un festival de musique antifasciste qui était censuré, à la demande de syndicats policiers et de Laurent Wauquiez.
C’est une épuration culturelle totale, rien ne doit dépasser, rien ne doit les bouleverser. La police est devenue une religion d’État, un corps sacré qui ne peut plus être critiquée.
Cette “cancel culture” semble délirante, mais elle démontre aussi l’immense fragilité de l’institution. Ce besoin permanent de légitimation et cette soif d’interdire toute pensée divergente montre davantage la faiblesse du pouvoir que sa force. Si l’État et ses agents, malgré leurs moyens, leur pouvoir, leur propagande, ont peur d’un smoothie ou d’un jeu de société, c’est qu’ils sont déjà quasiment vaincus.