«Allez voir un jour ce qu’il y a dans les gaz lacrymogènes, c’est pas rigolo». C’est un policier qui s’en alarme dans un article de Libération. Cela pourrait être «drôle» si ces agents en uniforme n’arrosaient pas systématiquement nos manifestations de gaz lacrymogène en quantités astronomiques. Un peu comme si Total faisait mine de s’inquiéter du réchauffement climatique, ou la FNSEA de la dangerosité des pesticides.
L’enquête de Libération parue ce vendredi traite d’un sujet trop peu abordé : la dangerosité du gaz lacrymogène. En France son usage est massif et systématique, alors qu’il est loin d’être anodin. D’ailleurs, il est peu utilisé dans les pays voisins, sauf dans des cas extrêmes. C’est un gaz de combat, synthétisé juste avant la 1ère guerre mondiale par des chimistes français pour déloger les barricades. Utilisés en cas de guerre, l’ensemble des gaz chimiques seront interdit par la Convention de Genève de 1993 dans un cadre militaire. Mais le gaz lacrymogène reste autorisé pour le maintien de l’ordre. Et la France est l’un des pays au monde qui en utilise le plus et qui en exporte partout.
Libération évoque une la journée qui a «choqué» aux USA lors du mouvement Black Lives Matter, et reste dans les mémoires : le 2 juin 2020, un jour appelé «Tear Gas Tuesday» dans la ville de Portland : 148 grenades lacrymogènes avaient été tirées. La concentration en gaz dans l’air avait pu atteindre plus de 4.000 mg/m³. C’est-à-dire au-delà des doses considérées comme potentiellement mortelles par des scientifiques. Pourtant, ce n’est quasiment rien par rapport à une manif française, où la police peut tirer des centaines, voire des milliers de munitions.
À Nantes le 23 mars dernier, une seule compagnie de CRS a tiré en une heure 450 grenades selon Le Monde ! Le 22 février 2014, plus de 2000 grenades avaient été tirées à Nantes contre une manifestation anti-aéroport, en quelques heures seulement. Le stock de grenades de Loire-Atlantique n’avait alors pas suffit, et la police avait dû envoyer une camionnette en chercher d’urgence à Rennes ! Le 1er décembre 2018 à Paris : 5000 grenades sont tirées dans le secteur des Champs-Élysées. À Sainte-Soline le 25 mars dernier, 5000 grenades en une heure et demie !
Ce sont donc des dizaines de milliers de munitions lacrymogènes qui sont envoyées sur la population française chaque année. En manifestation mais aussi beaucoup dans les quartiers, et de plus en plus à la moindre occasion : un contrôle tendu, une intervention nocturne. L’usage du lacrymogène est devenu la norme, le seuil minimal de la police française. D’ailleurs Macron a passé une nouvelle commande de lacrymogènes pour plusieurs millions d’euros.
Il est établi que les lacrymogènes CS, pour « Chlorobenzylidène », peuvent :
- provoquer des œdèmes pulmonaires et des hémorragies internes à fortes doses
- abîmer la cornée et donc endommager la vue
- provoquer des troubles menstruels voire des fausses couches
- le CS est synthétisé par le corps humain sous forme de cyanure, toxique en cas d’exposition répétée
Ces gaz peuvent aussi tuer au delà d’une certaine dose. Durant la vague d’insurrections qui s’est emparée du monde arabe en 2011, les policiers du Bahreïn, un petit royaume du Golfe, ont asphyxié des dizaines de manifestant-es en tirant des grenades lacrymogènes françaises directement dans leurs domiciles. 43 personnes sont décédées dont un jeune garçon de 8 ans et un homme de 87 ans. À Mayotte en 2020, «un projectile de gaz est tombé dans une cour où se trouvait une famille. Un nourrisson d’environ trois mois aurait inhalé du gaz lacrymogène. Conduit aux urgences, le bébé est décédé» rapportait la presse. En novembre 2021 à Sfax, en Tunisie, un jeune homme est mort asphyxié par des gaz lacrymogènes.
Pourtant, on ne sait toujours rien de ses effets à long terme. Les études sont quasiment inexistantes ou gardées secrètes par les autorités. C’est un scandale sanitaire en prévision, aggravé par le fait que le gouvernement français demande aux forces de l’ordre de confisquer les masques à gaz aux manifestant-es.
Il a fallu que les policiers eux-mêmes s’inquiètent des effets de leurs propres grenades pour qu’un grand quotidien se penche sur le sujet. La lacrymocratie française est en train d’empoisonner des centaines de milliers de personnes. Pour ça aussi, les dirigeants devront rendre des comptes.