“Du fric ou on vous tue !”, Alèssi Dell’umbria, les éditions des mondes à faire
“Du fric ou on vous tue !” C’est la phrase qui figurait sur une affiche de soutien à un homme incarcéré pour avoir saccagé les bureaux de l’Assédic, en 1984 à Rennes, excédé par les absurdités administratives auxquelles il était confronté en tant que chômeur. Cette affiche de soutien, c’est le groupe Os Cangaceiros qui l’a diffusée. Une joyeuse bande de jeunes révoltés, hors-la-loi et un peu punk, qui s’est constituée dans les années 1980 pour prendre part aux luttes qui se déroulaient alors dans les prisons, les banlieues et les usines. L’auteur, membre de cette bande, nous offre leur histoire rocambolesque.
Les Cangaceiros étaient des bandits sociaux du Nord-Est du Brésil il y a un siècle. Des bandes de voleurs nomades aux vêtements décorés de pièces d’or. Ils s’en prenaient aux possédants et redistribuaient une partie de leurs richesses aux pauvres de cette terre aride et désolée, où les inégalités sociales étaient monstrueuses. Ils terrifiaient la bonne société brésilienne.
C’est avec ce nom qui leur rend hommage que ce groupe, d’une douzaine de personnes, est né en France officiellement en avril 1985 pour se dissoudre de manière implicite en 1992. Entre temps, Os Cangaceiros a publié un grand nombre de textes, réalisé divers sabotages, chahuté des événements et monté tout un système d’arnaques aux banques commerciales.
Enfants en Mai 68, marqués par l’esprit de désertion qui a frappé un grand nombre de travailleur·euses, les membres d’Os Cangaceiros, ont fait leurs premières armes dans les années 1970 et refusé en bloc l’exploitation salariale. Ce fut donc une vie faite de débrouille, d’entraide et de reprise. La reprise se manifestera jusque dans les banques grâce à un système d’arnaques habiles, au moyen de chéquiers qui leur permettaient de retirer de grosses sommes d’argent. Dans cette logique de désertion, et pour se protéger de la répression, de faux papiers circulaient. La clandestinité n’était jamais loin.
Influencé par les situationnistes, le conseillisme et l’anarchisme, Os Cangaceiros agissait en dehors de tout cadre politique, partis et syndicats, que le groupe considérait comme du racket pur et simple. C’est ce racket qu’illustre de façon bouleversante le célèbre extrait du film documentaire sur l’usine Wonder et que l’auteur évoque dans ce livre : en juin 1968 une jeune ouvrière refuse de reprendre le travail et pleure de rage alors qu’un délégué syndical insiste pour qu’elle y retourne. Le syndicalisme lorsqu’il se transforme en outil de l’oppression sociale.
Cette bande se nourrissait intensément de films, de lectures et de musiques que les membres se partageaient largement, avec une curiosité dévorante, tout en maintenant à distance le milieu universitaire qui ne leur inspirait aucune confiance.
Ce qui caractérise particulièrement Os Cangaceiros, c’est l’entraide et le soutien que ce groupe a su mettre en place lors des différentes luttes. Farouchement opposés au système carcéral, les membres ont noué des liens avec des détenus et leurs proches (Georges et Chantal Courtois notamment), et mené quelques actions remarquables : blocages des trains, sabotages des chantiers de construction des prisons, jet d’œufs pourris sur un magistrat lors d’un passage à Nantes, etc. Ils ont également pleinement soutenu les grèves et manifestations ouvrières – celles des chantiers navals qui connurent des fermetures au milieu des années 1980 – n’hésitant pas à caillasser la police quand la situation l’exigeait afin d’aider les grévistes.
Très mobiles, les membres de cette bande ont circulé un peu partout, et l’auteur nous embarque avec eux à Paris, Marseille, Nantes, et même dans le bouillonnement de Londres des années 80. Certains d’entre eux ont malheureusement connu la prison, mais aucun n’a jamais renié ses convictions, malgré la dissolution du groupe et quelles que soient les trajectoires empruntées par la suite.
Alèssi Dell’umbria, auteur d’autres ouvrages passionnants sur les émeutes de 2005, les résistances indigènes du Mexique contre le plus grand parc éolien du monde ou l’histoire populaire de Marseille, revient dans un style fleuri sur cette aventure exaltante sans nous épargner les coups durs. Il nous offre une véritable plongée dans une histoire politique de Mai 68 aux années 90 – avec l’effondrement du bloc de l’Est et le soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale. Ce livre fourmille de références littéraires et musicales, de réflexions politiques et d’anecdotes.
Nous partager ces souvenirs c’est aussi le meilleur moyen pour nous, aujourd’hui, de mieux penser demain et d’inventer d’autres actions grandioses. Sans aucun doute un livre incontournable à se passer de main en main.