Il y a 10 ans à Nantes : la déferlante contre l’aéroport et son monde


Le 22 février 2014 : le jour où le projet de Notre-Dame-des-Landes a été vaincu


C’était il y a 10 an jour pour jour. Une date qui a marqué l’histoire nantaise : le 22 février 2014. La ville en état de siège. 3000 policiers mobilisés, un hélicoptère au-dessus des immeubles, des contrôles partout et des artères barrées. Les titres de presse anxiogènes. La veille de la manifestation, Nantes est quasiment sous couvre-feu. La mobilisation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes s’apprête à prendre la ville pour une véritable démonstration de force.

Après la tentative d’expulsion particulièrement violente de l’hiver 2012, qui s’est soldée par un échec de la gendarmerie, la ZAD envahit la métropole. Lieu de départ devant la préfecture. Ce samedi ensoleillé, un triton géant apparaît dans la rue. Des centaines de tracteurs ont fait le déplacement. Il y a des instruments, de la musique, des déguisements. On monte des cabanes dans les arbres. Il y a même une flottille anti-aéroport qui navigue sur l’Erdre, face à la préfecture. De belles affiches décorent les murs. Le cortège s’élance, compact.

Nous sommes 50.000 dans les rues de Nantes. C’est la plus grande démonstration de force depuis le début de la lutte anti-aéroport, démarrée près de 40 ans plus tôt. Toute la rue de Strasbourg est couverte de peinture : mairie, banques, et même les lignes de CRS. Le local de Vinci est dévasté avec une approbation quasi-générale. Le cortège bifurque vers la place du commerce, et c’est déjà la fin du parcours officiel. Au dernier moment, le tracé a été modifié : les autorités ont confiné tout le centre-ville derrière des grilles, des murs et des véhicules lourds. Quelques manifestants tambourinent en rythme sur les plaques de plexiglas. Les premières grenades sont envoyées.

Par vagues successives, les dizaines de milliers de manifestant-es vont venir se heurter au dispositif. Extincteurs de peinture, projectiles divers, tags et affrontements vont durer jusqu’à la nuit. Le commissariat situé en amont est entièrement repeint, et quelques flammes noircissent sa façade. Les caméras sont démontées. Une partie de la barricade policière tombe, arrachée par un grappin tiré par des dizaines de personnes. Le local de la TAN est dévalisé et des composteurs volent sur les lignes de CRS pendant que des manifestant-es distribuent des carnets de tickets aux passant-es. Les souches des carnets d’amendes partent en fumée, tout comme le local des contrôleurs.

Plus loin, la voie de chemin de fer est bloquée et le trafic paralysé. Une foreuse est en feu. Des barricades poussent dans les ruelles de Feydeau. Des concerts et un pique-nique continuent Place de la Petite Hollande. Plusieurs ambiances cohabitent. Personne n’a l’intention de céder au dispositif préfectoral. La situation est hors de contrôle.

L’État va alors déchaîner sa violence. Pour la première fois, des groupes d’agents lourdement armés braquent des dizaines de LBD vers la foule, et tirent. Une unité du GIPN, brigade d’élite, entièrement vêtue de noir et équipée de boucliers blindés, est même déployée pour prendre d’assaut les barricades, en tirant des dizaines de munitions. Plus de 2000 grenades sont envoyées en quelques heures sur un petit périmètre du centre-ville de Nantes. À l’époque, c’est sans précédent : les pandores envoient même une estafette à Rennes pour refaire le plein de lacrymos, les stocks de Loire-Atlantique n’ayant pas suffit à faire partir les opposant-es !

Mais l’affrontement dure jusqu’à la nuit. Une voiture est retournée devant le Tribunal Administratif. Les charges et le canon à eau interviennent sur l’esplanade de la Petite-Hollande entre chien et loup, slalomant entre des feux. La violence d’État atteint alors son intensité maximale. Des blessé-es sont pourchassé-es jusque dans des rues désertes. Lorsque les derniers gaz sont dissipés, il ne reste que les centaines de lueurs de gyrophares. Quatre manifestants ont été éborgnés par des tirs. Des dizaines d’autres personnes sont blessées ou arrêtées. Et la répression ne fait que commencer.

Dans les semaines qui suivent, les médias parlent de «saccage» et agitent le spectre de «l’ultra-gauche». Plusieurs personnes sont arrêtées et jetées en prison. Il faut faire oublier l’immense intensité de cette journée de rage massive et populaire. Et l’affront qu’a été cette mobilisation plurielle pour le gouvernement Hollande.

Une manifestation importante, contre la répression, aura lieu dès le mois de mai, pour ne pas laisser s’installer le récit médiatique tétanisant, qui fait planer sur la ville un arrêt des mobilisations. Peu après, un ZADiste poursuivi en justice va réussir l’exploit de s’échapper en plein procès, en vélo, du tribunal de Nantes. Le 21 juin, une «Maison du 22 février» est occupée à l’emplacement de ce qui sera, des années plus tard, la «Maison du Peuple de Nantes». Elle est immédiatement expulsée.

Rétrospectivement, on peut considérer que ce 22 février 2014, le projet d’aéroport est déjà abandonné dans l’esprit des décideurs. Aucun tarmac de béton ne sera construit sur la ZAD, aucun avion ne se posera dans le bocage.


C’était il y a 10 ans, déjà, et le début d’une grande vague de luttes locales contre les projets écocidaires qui se poursuit aujourd’hui.


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