Kamel Daoudi : libre dans le périmètre qu’on lui assigne


Depuis 2008 Kamel Daoudi est assigné à résidence par le Ministère de l’Intérieur. Sa situation unique fait de lui un rat du laboratoire répressif français.


Couverture du livre de Kamel Daoudi, "Je suis libre... dans le périmètre que l'on m'assigne", éditions du Bout de la ville, 2022

Sa vie est un cas d’école des pratiques kafkaïennes de l’antiterrorisme. Condamné en 2005 à six ans de prison et à la déchéance de sa nationalité française pour un projet «en relation avec une entreprise terroriste», sur la base de «soupçons» des services de renseignement, il sort en 2008 mais n’est pas expulsé vers l’Algérie car il risque d’être torturé dans ce pays. Kamel Daoudi reste donc en France mais il se retrouve, malgré lui, dans les griffes d’un système tentaculaire. Pas emprisonné, mais pas libre pour autant, en ayant pourtant purgé sa peine.

Il est ainsi privé de ses droits élémentaires et d’une vie normale depuis 16 ans : assignations à résidence, déplacements forcés dans différentes communes rurales, surveillance permanente, sa vie de famille hachée, ses relations disséquées… De quoi devenir fou, pris dans le labyrinthe arbitraire du Ministère de l’Intérieur. Selon une décision du Conseil d’État rendue en mars dernier, il est désormais maintenu dans les limbes de l’antiterrorisme notamment à cause de prétendus liens… avec «l’ultra-gauche» !

En mai 2022, Kamel Daoudi publiait, aux éditions du Bout de la ville, un recueil de textes décrivant dans le détail la violence institutionnelle qu’il subit. Un ouvrage toujours essentiel, à la fois intime et universel car si le traitement qui lui est réservé est unique, il dit beaucoup de la liberté qui nous concerne tous et toutes : celle de pouvoir aller et venir.

Daoudi réalise ainsi une compilation de la machinerie répressive à laquelle il fait face. Un rouleau compresseur sécuritaire qui le transforme en Sisyphe, le héros grec condamné à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours par retomber. Revenant sur son histoire, sur les grandes et les petites violences subies, Kamel Daoudi décrypte le processus de déshumanisation à l’œuvre depuis son incarcération puis sa « non-libération ». L’objectif de l’État : créer le désarroi, habituer à l’inhumain pour renforcer l’acceptabilité de la peine et, surtout, décourager toute forme de résistance.

La déshumanisation est ainsi au cœur du récit du pouvoir. L’assigné à résidence n’est plus un individu jouissant de droits et de libertés, mais un étranger, un potentiel danger, un élément indésirable partout et circonscrit à un périmètre choisi. Kamel Daoudi devient une bête dangereuse ou un virus qui ne doit pas contaminer le reste de la société. L’objectif du livre est alors de réintroduire de l’humain, de désarmer le story telling sécuritaire qui s’est installé autour de sa personne.

Ce story telling est copieusement alimenté par l’extrême droite, pour qui l’assignation à résidence serait un cadeau de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, voire même une victoire des « droitsdelhommistes ». Génération Identitaire va même organiser des manifestation devant la résidence de Kamel Daoudi et lancer des campagnes pour qu’il ne soit bienvenu nulle part, qu’il parte du pays de lui-même. La déshumanisation jusqu’au bout, mais l’auteur se tient droit face aux fafs.

Car la force du livre réside dans celle de Daoudi, qui fait de son cas unique une lentille pour penser la situation générale. Expérimenté durant la guerre d’Algérie, le processus d’assignation à résidence s’applique avant-tout à l’étranger mais il est surtout un message envoyé à toute la population. Le contrôle extrême sur les indésirables pour pouvoir contrôler au mieux l’ensemble de la société comme à l’occasion du confinement et du contrôle sanitaire face au covid-19. Comme l’explique l’auteur : « L’effet cliquet d’une mesure privative de liberté ne vous ramène jamais à l’ante status quo. Il vous conduit à coup sûr vers une fuite en avant, vers un état de sidération puis d’acceptation ».

Mais Kamel Daoudi, après 16 ans d’assignation à résidence où il se retrouve trimbalé au bon vouloir du Ministère de l’Intérieur, ruinant sa vie de famille, sa vie sociale et sa vie professionnelle, n’accepte toujours pas cet état de fait. Et c’est tout à son honneur.


Kamel Daoudi, « Je suis libre… dans le périmètre que l’on m’assigne », éditions du Bout de la ville, 2022


Alors qu’il animait auparavant le blog « Sentier battant », Kamel Daoudi propose désormais le blog « Assigné à résistance ».

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