«On ne peut plus rien dire», grognent régulièrement les boomers endoctrinés par BFM et Cnews. Ils ont raison : en France, on ne peut plus dénoncer la répression, le racisme et l’extrême droite sans s’exposer à des campagnes de censure et de diffamation.
Dernier exemple en date, la chanteuse Zaho de Sagazan. À seulement 24 ans, la talentueuse artiste a remporté les dernières Victoires de la musique avec pas moins de quatre trophées. Elle avait dédié ses trophées à «tous les soignants qui font leur travail sans avoir d’applaudissements […] mais aussi, aux pompiers, aux instituteurs… Aux gens dont le métier est de faire du bien […] ils n’ont pas de Victoire, eh bien je vous la donne».
C’est aussi une enfant du pays nantais : née à Saint-Nazaire, étudiante à Nantes avant de connaître un succès fulgurant depuis deux ans, elle est issue d’un territoire riche en résistances et d’une famille engagée contre l’extrême droite. Elle était présente dans les rues de la Cité des Ducs de Bretagne le soir du 1er tour des législatives. Dans un milieu culturel devenu en grande partie sourd et muet quant aux questions sociales et politiques, Zaho de Sagazan fait preuve d’un courage et d’un engagement qu’il faut saluer et soutenir.
Le 2 juillet, l’artiste s’exprimait sans langue de bois sur les réseaux sociaux : «Cette diabolisation de la gauche et dédiabolisation de l’extrême droite par les médias depuis des semaines est absolument immonde […] Force au Nouveau Front populaire qui doit se battre tous les jours avec des diffamations dégueulasses de la part de pseudos journalistes. Et gros, mais vraiment gros gros f*ck à Cyril Hanouna». Le lendemain, elle participait à Paris, place de la République, à un concert contre l’extrême droite.
Alors que son dernier album cartonne et que son tube «La symphonie des éclairs» passe dans la plupart des radios, elle a été déprogrammée d’un coup par les antennes détenues par Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré. Elle a ainsi disparu des ondes d’Europe 2, Europe 1 et RFM. Alors qu’il avait été proposé à 24 reprises durant la première semaine de juillet, son titre phare n’est plus à l’antenne. Idem sur RFM : proposé à 14 reprises la semaine précédent son message, le titre n’a eu droit qu’à un seul passage la semaine du 5 au 11 juillet… puis zéro. Même chose chez Europe 1, où le titre ne passe plus.
C’est le même empire médiatique qui organise un coup d’État politique, en mettant tous ses moyens au service de l’extrême droite. Pour soutenir le Rassemblement National, Bolloré a notamment créé en urgence, pendant la campagne, une émission spéciale sur Europe 1 animée par Cyril Hanouna intégralement dédiée à faire élire le RN, dont la totalité des intervenants étaient d’extrême droite et qui diffusait quotidiennement des intox et des diffamations contre la gauche.
Zaho de Sagazan n’est malheureusement pas un cas isolé. En France, il est désormais risqué d’exprimer des idées de gauche autrefois banales.
Le 11 juin, l’humoriste Guillaume Meurice était licencié de France Inter pour avoir fait une simple blague contre le Premier Ministre israélien d’extrême droite, qu’il avait qualifié de «nazi sans prépuce». Il avait été convoqué par la police, puis suspendu d’antenne jusqu’à un «entretien» pour «faute grave», et finalement viré malgré l’absence de suites judiciaires. Un licenciement qui s’inscrit dans le cadre d’une purge généralisée chez France Inter à l’égard de tous les contenus trop indépendants du pouvoir.
En octobre dernier, l’ancienne basketteuse Émilie Gomis, membre de la commission des athlètes du comité olympique français pour les JO 2024, avait dénoncé le nettoyage ethnique à Gaza par un simple post sur les réseaux sociaux. La basketteuse avait rapidement supprimé sa publication et s’était même excusée, mais cela n’a pas suffit : la sportive avait été immédiatement virée sans avertissement ni possibilité d’appel. Un comité opaque jugeait qu’elle aurait porté une «atteinte avérée aux principes éthiques».
En janvier, c’était l’affiche du nouveau spectacle de l’humoriste Waly Dia qui était censurée. On y voyait l’artiste les yeux fermés avec le visage couvert de tatouages. En haut d’une joue, à peine lisible, figurait la phrase : «Je suis comme l’IGPN, je ne suis pas là pour faire le procès des policiers». Outrage insupportable, le visuel avait été interdit d’affichage dans le métro parisien.
En décembre 2023, à Saint-Malo, une trentaine de planches d’une bande dessinée intitulée «Koko n’aime pas le capitalisme» étaient exposées lors du festival Quai des Bulles, pour mettre à l’honneur l’artiste «tienstiens», dont la BD connaissait un grand succès. Les planches avaient été décrochées à la demande de la police municipale.
En décembre 2022, la FNAC avait censuré un jeu de société sur l’antifascisme à la demande de syndicats policiers et de groupes d’extrême droite.
On pourrait continuer la liste de ces atteintes à la liberté d’expression qui visent des artistes, créateurs et militant-es encore longtemps. Dès 2013, Manuel Valls portait plainte contre Amal Bentounsi, dont le frère avait été tué par un policier, au motif qu’elle avait mis en ligne un clip parodique dénonçant l’impunité policière. En 2017, le rappeur parisien Jo le Phéno était condamné à la demande du Ministre de l’Intérieur pour son clip «Bavure». Assa Traoré aussi a été poursuivie pour avoir dévoilé le nom des gendarmes impliqués dans la mort de son frère. Le rappeur Médine a subi des campagnes de diffamation massives pendant des mois uniquement parce qu’il dénonçait la répression et l’islamophobie. Et ce ne sont que quelques exemples.
Ces sanctions ont le mérite de montrer ce qui est autorisé et interdit dans le pays des Lumières. Dénoncer les violences policières, le génocide à Gaza ou les médias de Bolloré est prohibé, réprimé et censuré. Promouvoir des idées racistes décomplexées sur les plateaux télé, alimenter la propagande pro-police, soutenir les crimes de guerre israéliens, répéter des fake news en continu et diffamer la gauche est autorisé, et même promu.
La fascisation est telle que pour faire carrière dans les médias et la musique, il n’y a plus besoin de talent : il suffit de recracher la pensée unique d’extrême droite qui plaît aux propriétaires de médias. En revanche, si vous faites preuve d’indépendance d’esprit et de sens de la justice, même si vous avec du talent et du succès, attendez-vous à des punitions immédiates. Zaho de Sagazan en est la dernière illustration.