Quand les agresseurs sexuels sont des stars, le boys club et les nanti-es se déchaînent
Le 22 octobre, le fils à papa et réalisateur Nicolas Bedos était condamné à un an de prison dont 6 mois avec sursis probatoire, 6 mois avec bracelet électronique, ainsi qu’une obligation de soins addictologiques et psychologiques, pour des agressions sexuelles sur deux femmes.
Dans les médias, qui hurlent d’habitude au «laxisme judiciaire», tous les chiens de garde se sont mis à aboyer. Le verdict a fait hurler la caste des nanti-es, qui ne supportent pas que l’un des leurs soit condamné. Selon eux, le verdict serait «délirant», «disproportionné», et lié à son statut de «star» pour lequel il serait «puni pour l’exemple».
Le Figaro n’a pas hésité à titrer, et ce sans aucune réalité juridique, «Pourquoi la justice est-elle clémente avec les délinquants ordinaires et impitoyable avec Nicolas Bedos ?». Invitée dans les colonnes du Figaro pour répondre à cette épineuse question, on retrouve Céline Pina, journaliste à… Causeur, revue puante d’extrême droite crée par Élisabeth Lévy, Alain Finkielkraut et autres joyeusetés. Pina, c’est aussi la sioniste enragée qui fait une hiérarchie sur les plateaux télé entre la vie des enfants de Gaza tués sous les bombes et celles des israéliens. Une humaniste.
Ce que dit Céline Pina est factuellement faux. Au contraire, la justice juge plus durement les populations les plus pauvres. Les chercheur-euses Virginie Gautron et Jean-Noël Retière ont, entre 2000 et 2009, réalisé une étude sur les différences de traitement judiciaire selon les différentes classes sociales : 31% des prévenus vivant avec moins de 300 euros mensuels sont condamnés à de la prison ferme contre 7,1% pour ceux gagnant plus de 1500€. On imagine que Nicolas Bedos est bien au-delà des 1500€ par mois… Est-on étonné ? Non. On l’apprend dans les fables de La Fontaine dès le plus jeune âge : «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir».
Lorsqu’une célébrité est accusée, ses richissimes ami-es se précipitent sur tous les plateaux télé pour hurler à la présomption d’innocence, demandent à ce qu’on «respecte le temps de l’enquête» et qu’on «laisse la justice faire son travail», que les victimes ne sont que de viles menteuses qui font ça pour percer, se faire de l’argent, salir le «monstre» du cinéma, de la musique, de la politique (rayez la mention inutile).
Rappelons que les fausses accusations sont rarissimes : les études estiment ces cas autour de 2%, même s’il est très difficile de mener ces enquêtes. La réalité pour les victimes qui portent plainte, ce sont surtout des procédures extrêmement longues et coûteuses en frais d’avocat, un procès éreintant qui dure plusieurs années – s’il a lieu bien entendu – dans lequel la plaignante est salie – on pense aux questions abjectes posées à Gisèle Pélicot lors de son procès telles que : «N’êtes-vous pas un peu exhibitionniste ?» Ce sont des intimidations, des menaces, un nom sali dans la presse… bref, loin d’être le moment de gloire que veulent nous faire croire les défenseurs de M. Bedos.
Lorsque votre agresseur s’appelle Nicolas Bedos, le message est clair : vous êtes la coupable, il est l’innocent. N’ayez pas l’audace d’imaginer qu’il puisse être condamné. Et ce même si les preuves s’accumulent – en plus des plaignantes au procès, six autres femmes ont témoigné d’agissements similaires auprès de Médiapart, on parle donc bien de prédation sexuelle et pas d’un dérapage ponctuel. Cette fois-ci, pas de chance ! l’un des leurs est condamné. La sacro-sainte présomption d’innocence ne devrait donc plus avoir cour.
Et pourtant, Céline Pina précise au conditionnel «le réalisateur AURAIT posé quelques secondes sa main au niveau du sexe de la jeune femme», remettant ainsi en cause la culpabilité du condamné. Elle continue : «Cela mérite une gifle retentissante».
Madame Pina serait-elle juge d’instruction pour décider de la peine que mérite un prévenu ? Sur le plateau de Cyril Hanouna on s’en donne à cœur joie dans la culture du viol. «Pour qu’il y ait eu un bisou ou une main, il y a forcément quelque chose qui s’est passé» assène la chroniqueuse Bahia-Carla Stendhal. L’agression sexuelle reste le seul crime où la responsabilité est toujours du côté de la victime. Comme si on demandait à une personne s’étant fait cambrioler : mais est-ce que tu ne l’as pas un peu cherché ?
Lorsque l’agresseur est une personnalité publique, c’est simple, la parole des victimes est non seulement remise en cause, mais aussi totalement occultée, absente des médias. Alors que les bourgeois hurlent au bûcher dès que l’agresseur rentre dans leur schéma de pensée.
Intéressons-nous à la différence de traitement dans les médias : lorsque l’auteur d’un crime ou d’un délit a le malheur de ne pas être blanc ou, pire, est visé par une OQTF, non seulement son identité est livrée en pâture mais la victime est mise en avant dans les médias, elle se trouve parfois portée en étendard par la fachosphère, à l’instar des victimes récupérées par le collectif faussement féministe mais réellement d’extrême droite Némesis.
Dans le cas de Nicolas Bedos, on ne parle que de lui. Ses victimes n’existent pas. Deux poids, deux mesures. Le quotidien Le Parisien a publié une chronique fustigeant «le culte des victimes» rédigée par… l’avocate de Nicolas Bedos, mais sans l’indiquer nulle part. Ce n’est pas la première fois qu’un journal mainstream fait passer une personne directement impliquée dans l’affaire comme un-e citoyen-ne lambda afin de propager le message allant dans le sens des dominants. Ainsi, on peut citer BFM TV invitant la militante néofasciste Thaïs d’Escufon et la présentant comme simple «influenceuse politique», ou un porte-parole de Tsahal présenté comme simple «spécialiste de la société israélienne».
L’avocate de Nicolas Bedos indique «Je suis à la fois stupéfaite et choquée du délibéré que je viens d’entendre. Cette condamnation, cette sévérité est totalement inédite». En effet, dans un pays où moins de 1% des viols sont condamnés par la justice, on comprend qu’elle soit étonnée. On aurait pu penser que la surprise serait plutôt bonne puisqu’elle pointe justement le grave préjudice que subissent les victimes d’agressions sexuelles dans un pays où les violeurs se promènent dans la rue impunément, mais non.
Alors qu’à l’heure du procès Pelicot de nombreuses personnes affirment que cette audience historique sera enfin celle où le caractère systémique des viols sera reconnu, et celle où la société dans son ensemble comprendra que les violeurs ne sont pas une vague d’inconnus tapis dans l’ombre et souvent étrangers, mais sont au contraire de toutes les conditions, de toutes les classes sociales et de toutes les origines, le procès Bedos nous montre à quel point c’est faux. À quel point la culture du viol est profondément ancrée dans la société, et ardemment défendue par ses bénéficiaires. Surtout s’il sont célèbres.
Regardons le cas de Gérard Depardieu : Macron lui-même avait affirmé qu’il «rendait fière la France» après qu’il ait été mis en cause pour des violences sexuelles. Ou Patrick Poivre d’Arvor dont on apprend que, dès 2005, il avait été auditionné pour viol dans les locaux même de TF1, qui jurait pourtant ne rien savoir et qui a donc protégé l’agresseur pendant plus de 15 ans.
Est-ce le fameux «esprit grivois à la française» ? Devrait-on se vanter d’être des champions dans les violences sexuelles ? Étrange comme fierté nationale. Ce qui est sûr, c’est que le message envoyé est : vous faites partie de la caste des puissants, vous pouvez violer en toute impunité.
La compagne de Nicolas Bedos, Pauline Desmonts, entretient de son côté le délire victimaire en comparant ce jugement à la Terreur – période culminante de la Révolution française aujourd’hui largement nuancée par des historiens et historiennes – sur Instagram : «La Terreur se définit comme une période où un groupe minoritaire impose sa domination par la violence, l’intimidation et la répression systématique. Les conséquences pour un peuple sont nombreuses et laissent des traces profondes dans l’histoire. Exprimez-vous, ne censurez pas vos intuitions».
Tout y est : réécriture de l’Histoire, inversion des rapports de domination, victimisation des coupables, dramatisation. Les bourgeois sont désemparés quand l’un des leurs est condamné, parce qu’ils s’imaginent intouchables, comme l’explique notre confrère Nicolas Framont dans le média Frustration. Qu’elle se méfie, la référence à la Terreur pourrait bien donner des idées…