Dans sa quasi-totalité, la classe politique française a basculé dans le trumpisme. Le réel n’a plus cours, les faits, la vérité, les preuves n’ont plus d’intérêt. Seule la réécriture des faits compte : imposer «sa» narration.
Un épisode de folie médiatique
Alors que des hooligans d’extrême droite, cogneurs et racistes, sont transformés en «victimes d’un lynchage antisémite», une nouvelle étape vient d’être franchie. France 2 a poussé le vice jusqu’à diffuser dans son JT des vidéos de supporters de Tel Aviv armés de bâtons et attaquant des habitants, avec une voix off affirmant «sur ces images, des supporters israéliens poursuivis et violemment attaqués». Littéralement une inversion du réel sur le service public, diffusée à des millions de personnes.
La gauche, en dehors de la France Insoumise, s’est immédiatement vautrée dans ce trumpisme. Fabien Roussel du PCF a tweeté : «À Amsterdam, des supporters ont été chassés, menacés et lynchés, dans la rue d’une ville européenne, car ils sont juifs». Olivier Faure, chef du Parti Socialiste : «Les agressions et lynchages antisémites dont ont été victimes les supporters du Maccabi doivent être condamnés sans aucune ambiguïté». Sa collègue Emma Rafowicz du même parti : «Les vidéos montrant des Israéliens lynchés dans les rues d’Amsterdam sont insoutenables». Même refrain chez Raphaël Glucksmann. Tous ces gens sont prêts à relayer la moindre fake news si cela leur ouvre un accès aux plateaux de télévision.
Dans cet épisode de folie collective, Marine Le Pen n’est évidemment pas en reste : «Des dizaines d’Israéliens ont été lynchés hier soir à Amsterdam à l’issue d’un match de football de l’Europa Ligue. La haine des juifs se répand comme une traînée de poudre». Éric Naulleau qui, rappelons-le, avait été embauché comme le «chroniqueur de gauche» sur France 2 il y a 20 ans écrit : «L’électoralisme des Insoumis va désormais jusqu’à justifier le lynchage des Juifs». François Xavier Bellamy des Républicains parle de «pogrom».
Des supporters fascistes et génocidaires
Quiconque s’intéresse un minimum à ce groupe de supporters sait qu’ils sont d’extrême droite et se livrent à des agression de rue depuis des années. Sur le site du Maccabi Tel Aviv, on trouve un répertoire de chansons racistes et génocidaires accessible à tous. L’une d’elle parle même de «violer vos filles, et boire leur sang». Des dizaines de vidéos à Amsterdam montrent ces supporters chanter qu’il faut «tuer des arabes», se réjouir en scandant qu’il n’y ait «plus d’enfant dans les écoles de Gaza car ils sont morts», frapper dans les rues, arracher des drapeaux. La police d’Amsterdam a même confirmé l’attaque d’un taxi dont le chauffeur est maghrébin. Tout cela est facilement vérifiable, surtout pour des journalistes ou des politiciens, mais tout ce petit monde se moque éperdument des faits.
Pourtant, qu’aurait-on dit si des supporters d’une équipe du Maghreb chantaient dans une capitale européenne : «Il n’y a plus besoin de kibboutz car les habitants sont tous mort» ? Qu’aurait-on dit si ces mêmes supporters chantaient qu’«il faut tuer» des israéliens, et attaquaient des chauffeurs de taxi sur des bases antisémites, voire arrachaient des drapeaux ?
Que dirait-on si des hooligans russes venus en Europe sifflaient une minute de silence, chantaient des appels à tuer les ukrainiens, agressaient des habitants ? Et si, en retour, ces groupes avaient reçu des coups ? Les médias auraient-ils pris la défense de ces supporters ? Parlé d’islamophobie ou de russophobie ? Évidemment pas.
En 2024, il est donc possible d’inverser des faits, pourtant filmés, en répétant mille fois le même mensonge. Le procédé est systématique depuis un an. Des «mains rouges» ont été transformées en symboles occultes antisémites, des pochoirs d’étoiles bleues ont été attribuées à «l’ultra-gauche» par le gouvernement alors qu’il s’agissait de tags de soutien à Israël, etc. Une fois que la narration a été imposée, même si des preuves finissent pas établir la vérité, il est déjà trop tard. Dans l’inconscient collectif, c’est la première information, c’est-à-dire le mensonge, qui a été retenu.
Dans cette orgie de fake news, le sens des mots est méthodiquement détruit. Jadis, les médias parlaient de «prise d’otage» pour désigner des grève, ce qui était déjà particulièrement grave. Mais parler de «lynchage» ou de «pogrom» pour cinq hooligans d’extrême droite légèrement blessés est sans doute l’opération la plus ignoble et révisionniste vue dans les médias.
Qu’est-ce qu’un lynchage ?
Alors pour redonner un peu de sens aux mots, rappelons ce qu’est un lynchage. Le mot s’inscrit dans une histoire précise, celle de l’esclavage et du racisme aux États-Unis. Il vient de Charles Lynch, un planteur esclavagiste et magistrat, connu pour ses jugements expéditifs. Au 19ème et au 20ème siècle, le «lynchage» frappe essentiellement des personnes noires, qui sont pendues à des arbres dans l’espace public. Il s’agit d’assassinats collectifs racistes et extra-judiciaires, souvent accompagnés d’actes de torture. La foule, blanche, vient ensuite contempler le cadavre et parfois lui faire subir des sévices post-mortem.
Pour donner une idée de l’horreur absolue de cette pratique, on peut évoquer l’agonie de Jesse Washington, un adolescent noir supplicié à Waco, au Texas, en 1916. Accusé d’homicide et jugé de manière expéditive, il est ensuite torturé devant une foule de milliers de personnes, rôti vivant au dessus d’un feu, pendu, mutilé… Son corps carbonisé est ensuite traîné au sol, puis pendu à un arbre, devant des témoins hilares. Des morceaux de son corps sont arrachés, emportés et parfois vendus par des habitants. Des photos de cet épisode sont imprimées sur des cartes postales.
À Tulsa, dans l’Oklahoma en 1921, un jeune homme noir est arrêté après avoir effleuré une femme blanche dans un ascenseur. Alors qu’il est arrêté, des représentants de la communauté noire tentent de le faire libérer pour éviter son lynchage. Des blancs sont réunis devant le commissariat. Un affrontement meurtrier éclate. Cela donne lieu à un épouvantable lynchage collectif pendant des heures. Des milliers de Blancs armés envahissent le quartier noir, tuant et pillant les habitants, y compris des femmes et les enfants. Des rues entières sont brûlées, la police aide au lynchage, des mitrailleurs sont utilisées. Des avions sont même dépêchés pour bombarder les maisons appartenant aux noirs.
Il y a jusqu’à 300 morts, et 10.000 Afro-Américains se retrouvent sans abri. La communauté noire, qui était prospère dans cette ville, disparaît quasiment après cet épisode, et les survivants se taisent et se murent dans la terreur. Il faut attendre 2001 pour qu’un rapport officiel retrace cette histoire. Aux USA, on estime que 4.000 Noirs ont été lynchés aux États-Unis entre 1877 et 1950.
Qu’est-ce qu’un pogrom ?
Le mot pogrom, qui vient du russe «destruction, pillage», est également une pratique de violence collective et raciste, exercée contre la communauté juive en Europe de l’Est du 19ème siècle à la seconde guerre mondiale. Ces déchaînements meurtriers sont souvent accompagnés par les autorités locales, elles-mêmes violemment antisémites. Le Tsarisme, l’Église et la presse encouragent et organisent à la fin alors la persécutions, diffusent des théories du complot antisémites et poussent la population à persécuter les juifs.
Des dizaines de pogroms ont lieu sur un vaste territoire comprenant la Russie, l’Ukraine ou la Pologne, souvent lié à l’actualité du moment : les juifs sont rendus responsables de la mort du Tsar ou de mauvaises récoltes par exemple. Ils servent de défouloir collectif. Ces violences frappent à la fois les ghettos – quartiers juifs dans les villes – et les shtetls, villages modestes situés à la campagne.
Un exemple en 1903, à Kichinev, en Bessarabie – actuelle Moldavie : des journaux accusent à tort la communauté juive de la mort d’un enfant. Une émeute antisémite dure 3 jours, tue au moins 47 personnes juives et la destruction de centaines de maisons. Les cadavres jonchent les rues. Un deuxième pogrom meurtrier a lieu dans la même ville deux ans plus tard. Ces massacres ont lieu dans toute l’Europe de l’Est, en toute impunité, et culmineront avec l’arrivée des fascismes et la guerre.
Des mots comme lynchage et pogrom ont un sens, une histoire, une profondeur, qui méritent d’être connues et étudiées, pour que jamais ces actes ne se reproduisent. Mais on ne manie pas des mots aussi lourds à la légère ou pour discréditer une cause. Ne serait-ce que par respect pour les victimes. Quelques coups de poings donnés à des hooligans d’extrême droite habitués à la bagarre et qui glorifient un génocide, n’est pas et ne sera jamais un lynchage ou un pogrom.
4 réflexions au sujet de « Redonner un sens aux mots à l’ère de la post-vérité »
Très bon article ! Attention, Raphaël et pas Gabriel Glucksmann !
C’est corrigé, merci !
La bourgeoisie facsiste cherche des coupables ? Depuis des siècles de propagande et de crimes, la bourgeoisie facsiste a fait évoluer la culture du mensonge à un tel niveau, qu’elle oublie que l’ensemble des maux et des crimes que subit l’humanité, proviennent des nuisances de son pouvoir.
Le media et H-tone (qui cite contre-attaque) reviennent sur cette « affaire »
https://www.youtube.com/watch?v=v37uz4eBWEI