Jules Grandjouan est né le 22 décembre 1875 à Nantes, il y a plus 149 ans. Son extraordinaire créativité en fait l’un des inventeurs de l’affiche politique dessinée qui fait la fierté de l’histoire sociale nantaise.

Enfant d’un milieu privilégié, promis à une carrière confortable à Paris, il préfère se jeter à corps perdu dans le dessin. En 1897, avec des camarades de lycée, il crée un journal baptisé la Revue nantaise. En 1898, il dessine sa ville dans un recueil baptisé Nantes la grise. Il est envoyé pour couvrir le procès Dreyfus à Rennes, en tant que dessinateur judiciaire.

Il ne lâchera plus jamais le crayon. Artiste prolifique, il part en reportage au sein du monde ouvrier pour la presse du début du XXe siècle. Ses œuvres au trait énergique permettent de diffuser très largement, avant l’essor de la photo, la réalité quotidienne et rude de professions dont on ne parle pas : maçon, boucher, mineur… Il les dessine sur le vif, et produit des centaines de croquis sociaux, à une époque où la photo est encore peu utilisée. Il s’agit de véritables reportages sociologiques dessinés, dénonçant «l’esclavage moderne».
Grandjouan est anarchiste, il travaille pour la presse révolutionnaire, «Le Libertaire», «La Guerre sociale» ou encore «L’assiette au beurre» pour qui il produit plus de 900 dessins… Il multiplie les caricatures féroces contre l’armée, la religion, la police ou le capitalisme. Les patrons sont ventrus, les émeutiers ont du panache, il dessine des scènes épiques d’affrontements de rue. Ses œuvres contribuent énormément à l’essor des idées révolutionnaires dans la France de l’époque.



En 1910, il publie un dessin sur les retraites qui n’a pas pris une ride. En haut, il figure le «festin» des retraites. Celui réservé aux «fonctions bourgeoises». On y trouve, autour d’une table bien remplie, des privilégiés ventrus qui se gavent : des «officiers de terre et de mer», «préfets», «commissaires de police et flic» avec leur chien. Rien n’a changé pour ces professions peu fatigantes qui bénéficient de retraites dorées.
En bas, Grandjouan dessine le monde ouvrier. Les prolétaires montent avec une extrême difficulté l’escalier du temps passé au travail. 61, 63, 63 ans… À 64 ans, ils sont déjà tous morts ou éreintés. Les bourgeois leur tendent un os : le reste de leur festin. Et disent à un pauvre vieil homme «T’arrives trop tard, t’as pas pris la bonne route». Le balcon est orné du symbole de la République Française.

L’artiste nantais est aussi l’un des premiers à dénoncer le colonialisme et ses crimes. Il publie notamment une affiche en faveur de l’indépendance de l’Algérie, à une époque où ces idées étaient très minoritaires dans la population française de métropole, y compris à gauche. On lui doit aussi de superbes affiches contre le vote et pour l’insurrection.




Parmi ses œuvres les plus célèbres, une banderole peinte en couleurs en 1910, figurant les inégalités et la répression, et proclamant «Honte à celui qui ne se révolte pas contre l’injustice sociale». On y trouve, à nouveau, une représentation de la lutte des classes, avec une société divisée entre les pauvres, en bas, exploités et victimes de violences d’État, et les riches en haut, se gavant avec les élus, protégés par des soldats. Cette toile est toujours exposée au Château des Ducs de Bretagne à Nantes.
Après la révolution russe, Grandjouan s’éloigne des idées anarchistes et met sa plume au service de la cause soviétique. Il dessine pour le Parti Communiste naissant, qui avait une ligne politique beaucoup plus radicale qu’aujourd’hui, et pour la CGT, anticapitaliste et révolutionnaire à l’époque.


Grand voyageur, Jules Grandjouan reste un amoureux de Nantes, ville qu’il a beaucoup dessinée et dont il déplorait les modifications urbaines désastreuses. Immortalisant dans plusieurs carnets les ponts de la ville avant qu’ils ne disparaissent, Grandjouan imagine aussi dans l’après-guerre un grand projet de ville utopique alliant Nantes et Saint-Nazaire, reliant la mer et la terre et vue comme une «porte de l’Europe» baptisée «Nant-naz».
Le dessinateur décède en novembre 1968, après une vie pleine de créations et d’aventures. Âgé de 90 ans, il meurt dans un immeuble proche du quai de la Fosse, le long de la Loire, après avoir ouvert un restaurant pour les déshérités en plein centre-ville.
L’année de sa mort, la France et Nantes en particulier sont à nouveau en ébullition, on y met en pratique la révolte et certains rêves de jeunesse du vieil artiste. Mais c’est une autre histoire.
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