Avertissement : certains faits peuvent heurter.
Le verdict est tombé jeudi 19 décembre après trois mois et 17 jours d’un procès aussi médiatisé qu’insoutenable. L’ensemble des 51 prévenus de l’affaire tentaculaire des viols de Mazan a été reconnu coupable. Les peines de prison vont de 3 à 20 ans, la plus lourde étant pour Dominique Pélicot, qui avait commis et supervisé tous les viols de Gisèle Pélicot, sous l’emprise de produits chimiques qui plongeaient la victime dans un état comateux. Pourtant, il reste de nombreuses zones d’ombre dans cette affaire, qui sont loin d’être résolues. Des questions auxquelles le procès n’a pas donné de réponse.
Dominique Pélicot, prédateur depuis les années 1990
Dominique Pélicot s’est présenté durant toute l’audience comme un paisible retraité qui aurait «dérapé» sur ses vieux jours. L’homme est pourtant mis en cause pour le viol et l’assassinat d’une femme, et dans plusieurs autres affaires de viols et d’agressions sexuelles depuis les années 1990. Dans ces affaires, qui ne sont pas toutes formellement attribuées à Pélicot, le mode opératoire est identique : l’agresseur a pris rendez-vous auprès d’agences immobilières sous un faux nom et il est passé à l’acte dans l’agence ou dans un appartement.
Dès 1991, Sophie Narme, âgée de 23 ans, est retrouvée nue, tuée après avoir été violée dans l’appartement qu’elle devait faire visiter à un client. Autre affaire en février 1994 à Vannes : Danielle H., 28 ans, agente immobilière, est bâillonnée, ligotée et violée. Quelques jours plus tard à Valenciennes, Céline L. âgée de 26 ans et agente immobilière est violée par un client.
En septembre 1995, Céline D. est violée à Rambouillet, dans les Yvelines. Puis, c’est à Berre-l’Etang, dans les Bouches-du-Rhône, que Christine G. est retrouvée morte, dans son agence, en mai 2000. Enfin, en mars 2004, l’agression de Françoise L., également dans son agence, est interrompue par un témoin.
En 1999, E. B., agente immobilière de 19 ans subit une tentative de viol très violente de la part de Dominique Pélicot, qui l’a droguée avec de l’éther et menacée avec une arme. La victime parvient à s’échapper. Un ADN a été relevé dans le cadre de cette affaire. Il matche en 2010 : Dominique Pélicot !
L’information est alors transmise au tribunal judiciaire de Meaux, où rien ne se passe. Plus aucun juge n’est saisi de cette enquête, un non-lieu avait été rendu en 2001. Malgré la concordance de l’ADN, l’enquête n’est pas relancée, alors qu’elle aurait pu mettre un terme aux agissement de Pélicot.
Le dossier sera finalement rouvert après l’affaire de Mazan. Lors d’une confrontation réalisée plus de 20 ans après les faits, Pélicot évoque une «chamaillerie» avec la victime. Il euphémise, mais reconnaît tout de même les faits. Il aura fallu attendre deux décennies et la médiatisation de Mazan pour que la justice enquête sérieusement…
Le 30 juillet 2010, Pélicot est interpellé dans un centre commercial de Seine-et-Marne
Il a été surpris en train de filmer sous les jupes des clientes, avec une caméra miniature cachée dans un stylo. C’est exactement pour les mêmes faits qu’il tombera en septembre 2020. Pourtant, en 2010, l’enquête n’est pas poussée plus loin. Il écope seulement d’une amende de 100 € dans le cadre d’une composition pénale. Une sanction légère et discrète, qui lui permet de tout cacher à son épouse. «Si j’avais été au courant, peut-être que j’aurais gagné 10 ans de ma vie», a regretté Gisèle Pelicot.
Pendant le procès des viols de Mazan, le juge a refusé catégoriquement que ces différentes affaires passées et que les enquêtes toujours en cours soient évoquées, alors qu’elles sont cruciales pour aborder la personnalité de Pélicot, qui a donné à la Cour l’image d’un retraité sans antécédents.
De nombreux auteurs de viols filmés restent dans la nature
Les vidéos et écrits retrouvés par les enquêteurs indiquent que, au minimum, entre 70 et 80 hommes ont abusé de Gisèle Pelicot. Seuls 50 ont été jugés et condamnés. Pire, des éléments laissent à penser que tout n’a pas été filmé et que d’autres viols auraient pu être commis ailleurs, en-dehors du domicile conjugal, comme sur des aires d’autoroute. Cela veut dire que plus de 30 suspects n’ont pas été identifiés, et ont donc échappé à la justice. Qui sont-ils ? Pourquoi n’ont-ils pas été retrouvés ?
Le site internet cité dans le dossier est crucial
Il a servi de vivier de recrutement, et se nommait Coco.gg. C’est sur ce site qu’un forum entier baptisé «À son insu» comportait des propositions de viols sous sédation, de la part de Pélicot mais pas uniquement.
Ce site a été créé en 2003, et la justice le considère comme un repaire pour les pédophiles et les prédateurs sexuels sur internet. Les accusés, qui prétendaient au procès avoir été piégés par Pélicot, ont menti : personne n’arrivait sur Coco.gg par hasard.
Le site d’informations judiciaires «Le club des juristes» lie le site à des faits de «pédocriminalité, de proxénétisme, de prostitution, de viols, de vente de stupéfiants, de guet-apens, voire d’homicides» et évoque de très nombreuses plaintes liées à ce site, concernant au total plus de 23.000 faits, au préjudice de 480 victimes entre le 1er janvier 2021 et le 7 mai 2024. En trois ans seulement.
Une enquête internationale a finalement abouti à la fermeture de Coco.gg le 25 juin 2024, à la demande de la juridiction nationale en charge de la lutte contre la criminalité organisée du parquet de Paris. Juste avant le procès de Dominique Pélicot. Ce site était une mine d’information, et il est aujourd’hui clôturé. Les administrateurs du site n’ont pas répondu aux demandes de la juge dans l’affaire de Mazan. Des données sont-elles conservées quelque part ? Pourquoi la justice ne va-t-elle pas les chercher ?
Des complicités médicales ?
Pélicot n’a jamais expliqué comment il s’était procuré une telle quantité de somnifères très puissants, sur une durée aussi longue, pour droguer son épouse. Il fallait pourtant des ordonnances régulières pendant une décennie et hors normes en terme de quantité. Le médecin du mis en cause a refusé d’être entendu par la juge, et n’a pas été poursuivi.
Par ailleurs, pendant 10 ans, Gisèle Pélicot a fait état de pertes de mémoire, d’angoisses, d’inflammations gynécologiques… Ses proches la trouvaient perdue et épuisée, elle avait maigri de 10 kilos. Elle a passé de nombreux examens, sans que personne, jamais, ne soupçonne son calvaire. Comment est-ce possible ? S’agit-il d’une négligence totale ou de complicités dans le corps médical ? Au moins un des condamnés exerçait comme infirmier, et les enquêteurs ont retrouvé dans ses recherches en ligne les mots clés : «inceste», «soumission» et «young».
Des victimes non identifiées
Non seulement tous les auteurs n’ont pas été retrouvés, mais toutes les victimes non plus. Parmi les 20.000 photos exhumées, d’autres femmes apparaissent, inconscientes et droguées. «Faute de moyens et de temps», l’enquête s’est arrêtée là selon la justice. Pourtant, Dominique Pélicot a pu se vanter d’avoir violé d’autres femmes auprès de ses coaccusés.
Parmi les victimes identifiées, la fille de l’accusé Caroline, qui apparaît endormie dans des sous-vêtements inconnus, parties intimes apparentes, lumière allumée. A-t-elle été sédatée, violée ? Dominique Pélicot a nié durant le procès, alors qu’il avait par le passé demandé à ses petites-filles de soulever leur robe contre des bonbons, et que son petit-fils a depuis déposé plainte pour agressions sexuelles. Dans le cas de Caroline comme pour d’autres, la justice n’est pas allée chercher plus loin.
Un réseau ?
La plupart des accusés ont prétendu avoir rencontré Pélicot par hasard, en surfant sur le site Coco, et ne pas le connaître, ni se connaître entre eux. La vraie nature des liens entre accusés n’a pas été réellement interrogée. Pourtant, plusieurs condamnés ont échangé par téléphone. Pourquoi ? Une chose est sûre, pendant le procès, plusieurs accusés se retrouvaient, discutaient et mangeaient ensemble pendant les pauses.
Dans les années 1980 dans l’Yonne, l’affaire Dunand, concernant un vaste réseau de criminels séquestrant et torturant des jeunes filles de l’aide sociale à l’enfance, avait été clôturé de façon troublante par la justice. Le principal responsable, Claude Dunand, avait purgé une peine relativement clémente et était mort en 2021, emportant tous ses secrets dans sa tombe. Le procureur d’Auxerre avait déclaré que l’affaire avait «été sabotée».
Concernant Pélicot, la juge d’instruction a reconnu auprès du journal Le Parisien : «Sur un dossier comme ça, on aurait pu enquêter 10 ans». On ne saurait mieux dire.
Illustration : croquis d’audience par Benoit Peyrucq
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Une réflexion au sujet de « Affaire Pélicot : les zones d’ombre du procès »
Ça ressemble aussi beaucoup à l’affaire emilie louis, dont la mort avait soulagé bon nombre de personnalités dans l’Yonne, à Auxerre en particulier (le procureur de l’époque soupçonnait les « notables »)….
La « Justice » avait fait preuve de beaucoup de légèreté, et beaucoup de pièces du dossier avaient mystérieusement disparues… Pratique.