⁨Maccarthysme made in France

Interdiction de parler de la Palestine, de la colonisation ou de l'extrême droite : la France connaît une forme de Maccarthysme.

Le Maccarthysme est un épisode politique qui a eu lieu aux USA dans les années 1950. En pleine guerre froide, c’est un moment de paranoïa collective et de répression totalitaire visant toutes les personnes supposément proches du communisme. Il s’agit d’un véritable moment d’inquisition, qui a visé des milliers de personnes – y compris des intellectuels et responsables politiques – ayant des idées pacifistes, féministes, réclamant plus de justice sociale, ou tout simplement apparentées à la gauche.

Dans la France de 2025, un nouveau Maccarthysme s’abat contre toute expression anticolonialiste et anti-racistes. Rien que ces derniers jours, un journaliste a été mis à pied, une eurodéputée insoumise menacée, une manifestation féministe interdite et une assemblée étudiante censurée. Tour d’horizon.

Rima Hassan visée par les autorités pour avoir parlé d’une entreprise complice du génocide à Gaza

Le 1er mars, l’eurodéputée insoumise et juriste Rima Hassan partageait une information d’intérêt public : l’entreprise marseillaise Eurolinks fabrique «les munitions retrouvées sur les corps de centaines de victimes palestiniennes» à Gaza. Elle ajoutait «Israël représente plus de 7% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise Eurolinks basée à Marseille».

Rima Hassan a-t-elle révélé un scoop ? Même pas. Cela fait des mois que des mobilisations publiques à Marseille dénoncent cette entreprise qui arme le génocide commis contre le peuple palestinien. Dès le mois de mars 2024, il y a un an, les médias Disclose et Marsactu révélaient que l’entreprise marseillaise exportait des petites pièces métalliques servant à relier entre elles des balles de fusils mitrailleurs et permettant des tirs en rafale de l’armée israélienne. Depuis, la justice internationale a émis un mandat d’arrêt contre les dirigeants israéliens pour «crimes contre l’humanité». Dans une société normale, cette entreprise devrait être dénoncée par tous les bords politiques et les autorités françaises l’auraient sanctionnée. C’est tout l’inverse qui s’est passé.

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a déclaré que les posts de Rima Hassan appelaient à «la vindicte» contre cette pauvre entreprise. Et le préfet de police des Bouches-du-Rhône a signalé au parquet les publications de l’élue, estimant qu’elles sont «susceptibles d’inciter à la violence». Dire la vérité est devenu une incitation à la violence.

Ces derniers jours, l’eurodéputée a déjà subi une offensive raciste gravissime : l’extrême droite, puis deux ministres macronistes, ont appelé à retirer à l’élue sa nationalité française pour avoir rappelé dans les médias que, selon le droit international, un peuple colonisé a le droit de se défendre.

Jean-Michel Aphatie viré de RTL

Jean-Michel Aphatie, figure bien connue des médias dominants et trop souvent brosse à reluire des puissants, n’est pas connu pour être un farouche opposant. Mais, désormais, il suffit d’émettre un avis allant à l’encontre de la doxa d’extrême droite pour être menacé.

Le 25 février, sur la radio privée RTL, le journaliste évoquait l’histoire de la colonisation algérienne, expliquant que la France a fait «des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie» et que «les Nazis se sont comportés comme nous l’avons fait en Algérie». Des faits avérés, documentés par les historiens : l’armée française a bien organisé des «enfumades» et tué des centaines de milliers d’algériens lors de la conquête du territoire au XIXème siècle. Puis à nouveau lors de la guerre de décolonisation entre 1954 et 1962. Un bilan plus lourd que toutes les victimes françaises de la seconde guerre mondiale.

Ces propos ont provoqué une campagne du RN, relayée par les macronistes et appuyée mercredi par l’Arcom – Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – qui a lancé une procédure. Ce mercredi 5 mars, Jean-Michel Aphatie a été mis en retrait de RTL. Il ne souhaite pas s’excuser ou revenir sur ses propos. Une victime de la «cancel culture» fasciste, une de plus.

Interdiction de dénoncer l’extrême droite à la fac de Reims

Une assemblée générale antifasciste devait avoir lieu à l’Université Reims Champagne-Ardenne, ce mercredi 22 janvier. Mais le Rassemblement National est monté au créneau, a interpellé la présidence de la fac, et a obtenu son interdiction. La réunion était annoncée comme une «présentation de l’histoire de l’antifascisme et de l’extrême droite en France».

Visiblement, la direction de l’université a décidé de mettre en pratique directement cet intitulé. L’élue du RN Anne-Sophie Frigout a osé déclarer : «Les antifas, font partie d’un mouvement qui prône la censure et utilise la violence»… avant de réclamer la censure de la réunion. Elle a ajouté «l’université n’est pas un lieu d’endoctrinement», alors que son parti veut détruire et mettre au pas l’enseignement.

L’université a donc interdit la réunion. L’AG s’est tenue mais dans une autre salle et a subi des intimidations : deux déflagrations ont été entendues aux abords de l’évènement.

Le 4 mars, rebelote. Une nouvelle Assemblée étudiante contre l’extrême droite est organisée, en mettant les formes, avec une demande d’autorisation à la présidence. Mais elle est interdite, officiellement pour «des raisons de sécurité». La présidence invoque «le plan Vigipirate».

Le Journal du Dimanche, possédé par Bolloré, et qui a publié plusieurs articles pour faire interdire ces réunions, se félicite : «l’université de Reims Champagne-Ardenne a décidé d’interdire un nouvel événement similaire prévu le 4 mars sur son campus. Victoire pour le RN».

Nous en sommes là : les étudiant-es privé-es d’expression dans leur université sur des sujets aussi banals que l’histoire de l’extrême droite.

Exclusions à Science Po

Avant les vacances scolaires, un rassemblement était organisé à Science Po Paris, à l’appel des syndicats étudiants, pour réclamer la reconnaissance du génocide en Palestine, la fin de la répression ainsi que la rupture des partenariats avec les universités israéliennes complices du génocide.

Trois étudiant-es – dont la présidente de l’Union étudiante de Sciences Po, un des syndicats du campus – ont été convoqué-es dans les bureaux de l’administration le jour même. La direction de l’établissement leur a annoncé une «exclusion temporaire avec interdiction d’accès aux locaux et aux enceintes de l’École». Et tout cela aux motifs de garantie du «bon ordre» et de la «sûreté de l’établissement».

Il y a quelques jours, ces trois étudiant-es ont appris leur exclusion pour 30 jours. Des sanctions très lourdes, qui touchent la représentante d’une organisation syndicale et constituent donc une étape de plus dans la répression au sein de l’établissement. En cinq mois, ce dispositif d’exclusion a été utilisé 40 fois à l’encontre d’étudiant-es luttant pour la Palestine.

Une marche féministe interdite

Depuis plusieurs semaines, de nombreuses organisations féministes organisaient une manifestation nocturne prévue le vendredi 7 mars, dans le cadre de la journée de lutte internationale pour les droits des femmes et des minorités de genre. Un appel liant la question du droit des femmes et les questions anti-racistes et anti-colonialistes. Parmi les signataires, on trouvait des organisations pour la Palestine, dont Urgence Palestine et Samidoun.

Le Préfet de Paris Laurent Nunez a décidé d’interdire cette marche, expliquant : «J’ai lancé la procédure d’interdiction de la marche nocturne prévue le 7 mars en raison d’appels de collectifs pro-palestiniens à y participer pour former un cortège dans lequel des propos appelant à la haine et à la discrimination sont à craindre».

Le même préfet avait autorisé des mobilisations néo-nazies à Paris, notamment le 11 mai 2024 sous protection policière. Des étendards fascistes et des gros bras cagoulés avaient défilé en plein Paris en scandant des slogans racistes. Le préfet n’avait pas parlé «d’appels à la haine» à leur sujet. Mais quand il faut dénoncer un génocide, il mont au créneau.

Le 21 avril 2024, une grande manifestation «contre le racisme et l’islamophobie» à l’appel de très nombreuses organisations avait déjà été interdite par le préfet de Paris. Ce dernier estimait que dénoncer les violences policières pouvait «attirer des éléments violents» et qu’évoquer les enfants de Gaza est une «provocation à l’antisémitisme». En fait, ce qui dérange le préfet, c’est uniquement lorsqu’une manifestation dénonce le racisme et le colonialisme. Jamais un gouvernement n’avait interdit autant de manifestations en si peu de temps.

Maccarthysme à la française

Dans la France en cours de fascisation, énoncer de simples vérités est désormais dangereux. Parler d’une entreprise d’armement, de l’histoire de l’extrême droite ou de la guerre d’Algérie est devenu répréhensible.

Souvenez-vous, déjà, dire que «la police tue», un fait établi, était qualifié «d’appel à la haine» par le gouvernement. Diffuser la liste des députés qui ont voté la réforme des retraites ou la loi immigration a été désigné comme «violent». Et des associations dénonçant le climat islamophobe ont été dissoutes. Nous assistons à une grande opération de censure et d’inversion du réel.⁩

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