Retour sur une triple répression : militaire, médiatique et judiciaire, qui a marqué une étape de plus vers la fascisation

Le 5 novembre, Médiapart dévoilait des images prises à l’intérieur du dispositif de gendarmes déployé à Sainte-Soline deux ans plus tôt, le 25 mars 2023. Sur les images de caméras-piétons des gendarmes présents autour de la mégabassine, on peut voir et entendre la volonté de tuer, de traumatiser, de briser mentalement et psychiquement. Les militaires qui envoient, depuis leurs positions fortifiées et solidement protégées, des munitions explosives en tir tendu contre les manifestant·es, ne cachent pas leur jouissance.
On entend les gendarmes s’exclamer : «T’en crèves deux-trois, ça calme les autres», «Je compte plus les mecs qu’on a éborgné !», «Un vrai kiff !», «Mets leur une GM2L dans la gueule», «fils de pute», «pue-la-pisse », «faut les tuer», ou encore, en criant de joie : «il l’a mis en pleine tête».
Le ministre de l’Intérieur Laurent Nunez a été invité à commenter ces images sur France Inter. Il a déroulé les mensonges habituels de toute communication officielle : «Il y avait eu un niveau de violence qui avait atteint un niveau inégalé ce jour-là, et il y a eu une riposte qui a été très majoritairement proportionnée». Même face à des images accablantes d’individus utilisant des armes de guerre pour tuer et qui, circonstance aggravante en principe, sont armés et assermentés par l’État, le Ministre de l’Intérieur soutien sans broncher ses hommes. Au micro, il refuse toujours de parler de violences policières : «Vous ne m’entendrez jamais reprendre ce terme de violence policière […] Je rappelle toujours, moi, le contexte : on était dans une manifestation interdite, où il y a eu énormément de violences graves contre les forces de l’ordre».
La chaîne BFM déroule aussi, le 8 novembre, le tapis rouge au représentant de la gendarmerie. Un officier nommé Erwan Coiffard. Il n’est évidemment pas question de donner la parole aux manifestant·es blessé·es ce jour là, ni aux organisateurs, et pas même à des journalistes de terrain qui avaient été épouvanté·es par le niveau de violence des gendarmes. Une seule parole autorisée : celle des tireurs.
Pour couronner le tout, les crapules de cette chaîne de désinformation ont diffusé en fond visuel des images de flammes et des plans rapprochés de manifestants, mais AUCUNE image des violences de gendarmes ni des tirs tendus. Quand il s’agit de la police ou d’Israël, BFM se met au niveau de la propagande de la Corée du Nord. Lors de son passage, le militaire parle lui aussi «d’affrontements particulièrement durs, particulièrement violents» tout en reconnaissant des «manquements à la déontologie».
Puisque les médias et les autorités se chargent à nouveau de réécrire l’histoire, il faut revenir sur cette triple répression historique : militaire d’abord, médiatique ensuite, judiciaire enfin.
Répression militaire
On ne peut pas comprendre la violence inouïe de la répression du 25 mars 2023 sans se rappeler qu’elle a eu lieu en plein cœur d’un mouvement social gigantesque : celui pour la défense des retraites. À cette date, des manifestations réunissaient des millions de personnes dans les rues, des secteurs étaient en grève reconductible, les universités étaient en lutte… Le gouvernement venait d’utiliser le 49.3 pour passer en force et des cortèges nocturnes et spontanés avaient lieu dans tout le pays. Dans les manifestations, la colère était montée d’un cran. Bref : le gouvernement était en sérieuse difficulté.
Il a donc utilisé Sainte-Soline comme une démonstration de sa force, un moment destiné à terrifier la contestation, et plus largement l’opinion. Profitant de cette date, annoncée depuis longtemps, les autorités savaient que les forces les plus actives et déterminées des luttes en cours se réuniraient dans un même endroit, au milieu de champs dégagés, à l’écart des villes et des lieux de pouvoir. Le terrain idéal pour les anéantir.
Il n’y avait aucun enjeu de maintien de l’ordre ce jour-là, aucun risque de dégradation : la mégabassine de Sainte-Soline n’était qu’un trou en terre battue, encore en chantier. L’État y a pourtant placé 3200 gendarmes armés jusqu’aux dents, des blindés militaires, des hélicoptères, et un stock illimité de munitions. Un dispositif répressif qui a coûté plus cher que la construction de la mégabassine elle-même ! La gendarmerie n’a pas cherché à contenir le cortège de dizaines de milliers de personnes, elle ne l’a pas empêché de s’approcher de la bassine. Ce qui avait d’ailleurs éveillé quelques craintes, le jour même, dès le début.
À la manière d’une armée en guerre, les gendarmes ont laissé la manifestation venir sur «leur» terrain, là où ils pouvaient, depuis leur camp fortifié, massacrer l’ennemi facilement. En deux heures, depuis leur butte de terre, derrière leurs grilles, appuyés par une vision aérienne, les gendarmes ont tiré 5000 grenades dont 1000 explosives. Les champs sont devenus une zone de guerre selon toutes les organisations présentes. Des dizaines de milliers de personnes ont été traumatisées, aux moins 200 personnes gravement blessées selon les recensement, dont plusieurs gravement mutilées. Et deux hommes plongés dans le coma, entre la vie et la mort.
Même en guerre, des règles obligent à porter assistance à un soldat ennemi blessé, et à laisser les secours intervenir. Le 25 mars 2023, la gendarmerie a bloqué l’arrivée des secours, laissant des personnes se vider de leur sang ou perdre connaissance dans la boue. Sur les enregistrements révélés par Mediapart, on entend d’ailleurs des gendarmes rigoler sur des manifestants qui ne se relèvent pas, et sur le fait qu’il ne faut pas leur porter secours.
Répression médiatique
Malgré cette journée cauchemardesque et largement documentée, un récit intégralement mensonger a été imposé dans les médias.
Contre Attaque avait recensé heure par heure le dispositif de propagande pendant cette semaine. Il y avait par exemple, sur Cnews, le macroniste Stanislas Guerini qui disait : «Quand on vient avec des boules de pétanque, des haches, des bombes artisanales, on vient bien souvent pour tuer du flic». Olivier Truchot sur BFM qui parlait de «casseurs» et «d’émeutiers qui auraient empêché le médecin d’intervenir». L’invention d’un gendarme «en urgence absolue», soi-disant blessé par les manifestant·es. Un mensonge sans aucune base réelle, comme l’ont finalement reconnu les gendarmes eux-mêmes, mais répété des dizaines de fois.
Une essayiste assénait aussi sur Cnews : «Quand vous vous en prenez aux forces de l’ordre avec des techniques de guérilla urbaine, il est normal que ça se termine mal». Une guérilla urbaine au milieu des champs, donc. Un lieutenant sur BFM jurant qu’il n’avait «jamais vu» une telle violence et qui sanglotait presque : «Je me suis dit ‘ils vont me tuer’». Toujours sur BFM, le chef de la gendarmerie venait expliquer que ses hommes «se sont vus mourir». Du grand cinéma. Rappelons que dans les faits, les gendarmes sur place se marrent et disent avoir passé la meilleure journée de leur carrière, comme le prouvent les enregistrements !
Malgré les milliers de photos et de vidéos attestant de violences d’État injustifiables, BFM comme Cnews avaient réussi l’exploit, en une semaine, de ne pas montrer une seule image de tir ou de blessé, mais uniquement des jets de projectiles. C’était une véritable prouesse technique, car les explosions de grenades avaient lieu en permanence, en moyenne une explosion toutes les deux secondes. Cela a donc dû demander aux monteurs d’isoler quelques instants bien choisis, et de les passer en boucle à l’antenne en fond visuel.
En parallèle, pas le moindre bandeau ni le moindre présentateur n’avait parlé de «violences policières». Médiapart révélait à l’époque que l’emploi du terme «violences policières» était considéré par la direction de BFM comme «politiquement connoté» et est formellement interdit aux journalistes. Le 27 mars, BFM allait encore plus loin dans l’ignominie, et balançait que les deux hommes dans le coma après des tirs étaient «fichés S» et «d’ultra-gauche», pour mieux justifier l’injustifiable. Salir des personnes entre la vie et la mort qui ne peuvent pas se défendre, un record d’abjection médiatique.
Le Monde révélait dans un article d’avril 2023 que cette opération a été directement commanditée par Darmanin, qui aurait déclaré dès le 25 mars : «Il faut montrer la violence», et avait réclamé aux forces de gendarmerie de faire «remonter en direct le déroulé des opérations pour en assurer l’utilisation politique». C’est-à-dire fournir des images orientées à la presse aux ordres.
Répression judiciaire
Plus de deux ans après, aucun gendarme n’a été inquiété malgré les éléments accablants, mais la répression judiciaire des contestataires a été massive, mobilisant des moyens énormes.
Le 20 juin 2023, une grande opération anti-terroriste avait lieu dans toute la France. Dans la Meuse, Loïc, poète, maraîcher et militant écologiste, subissait la descente de 22 gendarmes du Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie (PSIG) et du Peloton Spécialisé de Protection de la Gendarmerie de Cattenom (PSPG) – une unité de contre-terrorisme – cagoulés et hurlant dans sa maison. Alors qu’il était dans son lit, une arme de guerre était pointée sur sa tempe, il était menotté et envoyé en prison à plusieurs centaines de kilomètres de chez lui.
Son tort ? Avoir fait un tag sur un camion et brandi la veste d’un gendarme lors de la manifestation. Dans toute la France, d’autres arrestations avaient eu lieu avec les mêmes moyens, et de lourdes peines de prison distribuées, après des gardes à vue de 4 jours dans des locaux antiterroristes.
Le gouvernement avait ensuite lancé la procédure de dissolution contre les Soulèvements de la terre. Heureusement sans succès, grâce à une intense mobilisation populaire.
Une «commission d’enquête parlementaire» avait été créée après le carnage de Sainte-Soline. Pas pour enquêter sur la gendarmerie, mais sur «l’ultra-gauche». Le 5 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin y intervenait pour raconter la journée du 23 mars. Il assénait que «juger de la réussite d’une opération de police (…) suivant les conséquences du nombre de blessés et éventuellement du nombre de morts me semble être un mauvais débat médiatique». Relisez attentivement : tuer des manifestant·es est désormais parfaitement assumé. Selon Darmanin, la question n’était pas de savoir «si les forces de l’ordre ont le droit d’utiliser cette violence, car elles ont le droit».
Pour finir, la mégabassine de Sainte-Soline, celle qui était visée par la manifestation, ainsi que plusieurs autres, ont depuis été déclarées illégales par la justice. Tout ça pour ça.
Plus personne ne peut ignorer que, depuis le 25 mars 2023, le gouvernement peut utiliser n’importe quel grand évènement social ou écologiste pour tuer ou mutiler afin de terrifier, et qu’il aura à sa disposition tout un appareil médiatique, judiciaire et politique pour faire accepter cela à la population. Telle est la nouvelle normalité.
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