Purge, grève, projet de fusion : que se passe-t-il à France Télévision ?


Le service public d’information en danger : mobilisation au sein de France 3. Une loi prévoyant une fusion de l’audiovisuel public rejetée lundi 30 juin à l’Assemblée mais pas abandonnée par le gouvernement


Contre la fusion de l'audiovisuel public, les salarié-es de France 3 se mobilisent

Dans un océan de médias contrôlés par des milliardaires d’extrême droite, dans un paysage audiovisuel dominé par des «chroniqueurs» qui n’informent pas mais diffusent leur idéologie, entre des plateaux télé débilitants et des émissions de divertissement, les journaux de France 3 détonnent. Tout n’est pas parfait, mais il s’agit de reportages à taille humaine : partout en France, des équipes se rendent sur le terrain, donnent la parole aux gens d’en bas, retransmettent ce qu’il se passe à l’échelle de quartiers, de villes et de régions. C’est ce qui s’appelle encore le service public d’information.

Et ce travail est toujours plus honnête et sérieux que celui des experts de plateaux télé. C’est dans les journaux locaux de France 3 qu’on peut entendre parler de problématiques sociales, de certaines affaires de violences policières traitées presque normalement, de certaines parutions, d’initiatives solidaires locales… Des sujets qui ne franchissent quasiment jamais le seuil des grands médias privés nationaux.

Depuis lundi 30 juin, France 3 est en grève. À Nantes, l’antenne de la chaîne en Pays de la Loire est perturbée, car les techniciens et journalistes se sont réunis en Assemblée Générale et ont décidé de se mobiliser pour «défendre l’audiovisuel public et l’accès à une information locale et fiable». Un peu partout, des rassemblements ont lieu devant les locaux de France Télévision.

Démanteler l’audiovisuel public, un des derniers bastions médiatiques indépendants des milliardaires

L’heure est grave. Le gouvernement veut imposer un projet de fusion de l’audiovisuel public, sans concertation, qui risque d’achever l’info locale publique. Si cette idée, portée par la ministre de la Culture Rachida Dati, était appliquée, cela regrouperait les entreprises Radio France, France Télévisions, l’INA, et possiblement France Médias Monde dans une seule entreprise baptisée France Médias, afin d’en «rationaliser» la gouvernance et le fonctionnement. Toujours la même logique de «rendement», de «réduction des coûts», au détriment d’un service public.

Depuis des mois, les salariés et les syndicats de l’entreprise dénoncent le projet. Plus de 100.000 personnes ont signé une pétition pour conserver le «pluralisme et l’indépendance des médias audiovisuels publics». Plus de 2000 élus locaux et des collectivités locales s’opposent également à cette fusion. Saviez-vous que le secteur représente plus de 16.000 emplois directs et fait vivre 4500 entreprises, soit environ 108.000 emplois indirects ? Il s’agit du premier employeur français de journalistes et d’intermittents.

Pourtant, vous, lecteurs et lectrices, et la plupart des français-es, n’avez sans doute pas entendu parler de cette loi, de ses potentielles conséquences dramatiques, et encore moins de la mobilisation du personnel de France 3. Il faut dire qu’elle fait moins de bruit que les grognements racistes de Cnews. Et le manque de solidarité du reste de la profession de journalistes – d’habitude si corporatiste – est criant.

La CGT du secteur rappelle que ce projet de fusion intervient après des années d’attaques : «Pour 2025, l’audiovisuel public a déjà subi 80 millions d’euros de coupes budgétaires. Des sociétés se retrouvent en déficit, ou contraintes de fermer des chaînes. Radio France a ainsi annoncé la fermeture de l’antenne de Mouv’, qui répondait pourtant au besoin de rajeunissement des publics. En 2025 également, la station de radio ICI Paris Île-de-France disparaît également, alors qu’elle assurait la couverture d’un territoire représentant 18% de la population française. Depuis 2008, en ‘euros vrais’ l’audiovisuel public a déjà perdu 1,252 milliards d’euros, dont 776 millions d’euros depuis 2017».

Le texte porté par Rachida Dati a été discuté lundi 30 juin. C’est pour cela que tous les syndicats de France Télévisions ont déposé un préavis de grève illimité. Mais une motion de rejet déposée par les écologistes a été validée. C’est un camouflet pour la ministre, mais pas l’abandon du texte. Il va repartir au Sénat, et devra être rediscuté avant d’être appliqué. Et surtout, ce n’est qu’une attaque parmi d’autres contre les médias publics.

Une purge idéologique

Benoît Henrion, journaliste à France 3 et membre du SNJ, résumait ainsi auprès du quotidien l’Humanité la crainte des salariés concernant le projet de loi : un «grand bond en arrière vers l’ORTF, qu’on appelait ‘télé-préfet’» et un pouvoir «très concentré dans une seule personne», le futur PDG de la holding France Médias, qui «serait nommé par l’Arcom, dont le président est lui-même nommé par le président de la République». Ce serait l’abolition du dernier bastion un peu indépendant à la télévision française.

Pire, certains députés rêvent de durcir la loi. On sait que l’extrême droite réclame depuis des années la privatisation des médias publics, pour les livrer aux appétits des milliardaires fascistes. Ainsi, le RN a déposé des amendements pour supprimer la notion de «liberté éditoriale», veut ouvrir l’audiovisuel public à la vente, et imposer des responsables non élus dans les Comité d’Administration. Le RN veut aussi augmenter les publicités sur le service public.

La CGT estime également que «la stratégie actuelle de l’information à France Télévisions est de mettre France Info au cœur, la rédaction nationale». Tiens tiens…

Justement, la nouvelle directrice de France Info, Agnès Vahramian, partageait en novembre une publication pro-Trump sur les réseaux sociaux avec son compte officiel, au moment de la proclamation des résultats électoraux aux USA. Auparavant, Vahramian avait travaillé chez France 2. Un ancien grand reporter de la chaîne avait rappelé à quel point elle était «odieuse, humiliante, cassante», à l’humeur toujours changeante. D’autres salariés ont dénoncé un climat de terreur, des crises de larmes, des comportements assimilables à du harcèlement moral alors qu’elle les dirigeait. Agnès Vahramian est payée par l’argent public. Elle n’a jamais été sanctionnée pour ses méthodes, elle a été promue.

À la tête de Radio France dont fait partie France Info, on trouve Sibyle Veil, énarque et copine de promotion de Macron. C’est elle qui a offert une promotion à la trumpiste Vahramian, et qui a en parallèle a organisé une purge chez France Inter, licenciant notamment Guillaume Meurice, qui avait eu le tort de blaguer sur le prépuce de Netanyahou.

Le 18 mars, Nathalie Saint-Cricq était nommée directrice de la rédaction nationale de France Télévisions. Elle prenait les rênes de quasiment toute l’information publique en France. Les journalistes s’en inquiétaient déjà. Dans les colonnes de L’Humanité, le délégué syndical du SNJ-CGT France Télévisions déclarait : «On est révolté de cette décision, d’autant que nous n’avons pas été prévenus. Cela intervient à un moment très tourmenté pour France Télévisions et pour l’information. Ce n’est pas un bon signe pour France Info ni pour la rédaction nationale». Un autre journaliste expliquait : «Que dire, si ce n’est que cette nomination est celle d’un clan qui se serre les coudes et qui se répartit les postes en circuit fermé !»

Autre signe de cette grande purge : la présentatrice Anne-Sophie Lapix a été virée du journal de 20H sur France 2. C’était l’une des dernières grande présentatrices à garder une indépendance d’esprit, à poser des questions piquantes, et surtout à ne pas s’aplatir devant l’extrême droite. Le clan Macron lui reprochait depuis des années «ses moues rieuses et son ton ironique dans ses interviews». Elle faisait peur à Le Pen comme au président. Ce dernier a obtenu la tête de la journaliste.

Tout cela fait système. Le pouvoir verrouille les médias avant les municipales puis la présidentielle. Le pouvoir place ses fidèles aux postes clés des médias publics, purge les personnalités trop indépendantes et organise une grande fusion qui va abîmer le journalisme de terrain, celui qui produit l’information, celui qui enquête et amène de la matière première et pas des «impressions» ou des «éditoriaux».

C’est la fin du service public d’information qui est à l’ordre du jour. Il faut donc se tenir au côté des travailleurs et travailleuses de France 3 en grève, en particulier quand la loi rejetée une première fois le 30 juin sera revotée. En attendant un paysage médiatique débarrassé des puissances d’argent, comme l’exigeait le programme du CNR, issu de la Résistance antifasciste, en 1944.

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