Entrisme catholique dans l’éducation : des effets bien concrets


Alors que Macron brandit une menace fantasmée «d’entrisme» musulman au sein des institutions, un vrai entrisme est déjà bien amorcé dans les sphères du pouvoir : celui des catholiques intégristes


Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau devant un curé et Jeanne D'Arc : l'entrisme catholique est bien ancré au pouvoir.

Il y a quelques semaines, nous avions décrypté le rapport sur la « mouvance frériste » que le gouvernement avait fait fuiter dans la presse. Un concentré de préjugés racistes et complotistes utilisés par le pouvoir pour désigner un ennemi intérieur et développer la répression des populations musulmanes, tout en brandissant à tout-va la sacro-sainte laïcité comme valeur cardinale de notre République. La laïcité qui s’est construite en 1905 s’est pourtant faite contre l’Église catholique et son emprise sur la société française. Et c’est cette même Église catholique qui infiltre encore aujourd’hui les postes clés du pouvoir.

Les archives de Patrick Buisson révèlent l’intégrisme au pouvoir

Le 6 juillet dernier, Médiapart publiait une enquête basée sur les archives personnelles de Patrick Buisson, ancien conseillé de Nicolas Sarkozy, décédé en décembre 2023. Ancien rédacteur en chef du journal fasciste « Minute », passé par les groupuscules fascistes Action Française puis Occident, Patrick Buisson s’est vite mis au service d’une « union des droites » afin d’installer les idées conservatrices au pouvoir de façon durable. Force est de constater qu’il y est parvenu.

Dans cette enquête, Médiapart révèle surtout les collusions entre Patrick Buisson et sa « galaxie » de types réacs. Buisson, fin stratège, n’agit pas en pleine lumière mais il joue un rôle fondamental : il connecte des personnalités politiques, détentrices du pouvoir, et des idéologues catholiques intégristes et réactionnaires. C’est par exemple le cas de Camille Pascal, la « plume » de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était au pouvoir et proche de Patrick Buisson, qui relit les discours qu’il écrit pour le président. Comme ce discours du 4 janvier 2012 en hommage à Jeanne d’Arc, la « Sainte laïque », véritable entrée en campagne de Sarkozy dans les pas de Le Pen et qui proclame les «racines chrétiennes de la France». 

Ainsi se font des connexions entre des fascistes d’hier et d’aujourd’hui, entre le pouvoir politique et des personnalités religieuses. Un conseiller de Laurent Wauquiez, un évêque intégriste, un proche de Bruno Retailleau et Philippe De Villiers… La « galaxie Buisson » a semé partout des graines de la réaction catholique. Un an après sa mort, les réseaux d’influence de Patrick Buisson continuent d’agir.

Ministère clé de la bataille culturelle de Buisson : l’éducation. On a déjà parlé de Blanquer, d’Oudéa-Castéra ou encore de Mark Sherringham, l’actuel président du Conseil supérieur des programmes qui déclarait en 2009 qu’il faut « réintroduire le christianisme dans le débat éducatif ». Mais l’enquête de Médiapart s’intéresse à un autre personnage : Caroline Pascal, l’épouse de Camille Pascal proche de Buisson et actuelle numéro 2 de l’Éducation nationale. C’est elle qui a trafiqué le rapport Stanislas afin de protéger l’établissement, alors que les inspecteurs de l’éducation nationale y avaient relevé des manquements graves, notamment en ce qui concerne le respect de la laïcité, ou encore dénoncé des agissements sexistes et homophobes.

Pour résumer : une catholique fondamentaliste se retrouve au cœur de la stratégie entriste anti-IVG et anti-homosexualité développée dans les archives de Patrick Buisson. Et ces gens prétendent encore défendre le service public d’éducation alors que leur raison d’être au pouvoir est de le détruire ?

Le lobby de l’enseignement catholique, un ministère séparatiste

Une autre enquête de Médiapart, publiée le 3 juillet, porte sur le secrétariat général de l’enseignement catholique. On y apprend la façon dont s’organisent les diocèses (c’est-à-dire des institutions religieuses) afin d’agir en tant que lobby de l’éducation, au point d’agir comme un « ministère bis ». À la tête de cette institution : Philippe Delorme, qui assure que son rôle n’est rien de plus que coordonner des projets éducatifs, tout en assurant l’autonomie des établissements privés. C’est ce qui lui permet d’être un interlocuteur privilégié au ministère de l’éducation sans être comptable des dérives d’établissements comme Notre-Dame-de-Bétharram.

Dans une note interne du ministère adressée à Pap Ndiaye, qui prend alors ses fonctions, le secrétariat général de l’enseignement catholique est décrit ainsi : « Le Sgec exerce un lobbying important, qui ne se limite pas à la rue de Grenelle, il sait faire passer des amendements lors des discussions parlementaires […] Le Sgec sait se faire entendre pour réclamer des droits identiques [au secteur public] mais tait ses avantages comparatifs. » Pour résumer : le privé catholique veut le beurre, l’argent du beurre et voir l’enseignement public crever la gueule ouverte.

Cheval de bataille de Philippe Delorme : le logiciel « faits établissements », qui permet au ministère d’être tenu au courant de situations problématiques graves, notamment de faits de violences, d’agissements sexistes ou homophobes, de harcèlement… Mis en place sous la direction de Najat Vallaud-Belkacem, le système d’alerte est très vite fonctionnel dans le public. Mais dans le privé, c’est plus compliqué. Médiapart indique que, pour Philippe Delorme, le ministre de l’éducation nationale ne serait pas « compétent pour connaître les événements de vie scolaire relatifs aux élèves en dehors de toutes situations d’enseignement dans une classe faisant l’objet d’un contrat ». Et d’ajouter que « l’État ne peut pas collecter et traiter les données relatives aux faits graves ou de violences concernant les autres personnels des établissements », notamment les chefs d’établissement, qui ne sont pas sous l’autorité de l’Éducation nationale mais sont embauchés par les organismes de gestion des établissements privés, et désignés par les diocèses. 

Avec le dévoilement de l’affaire Bétharram et suite aux multiples enquêtes sur des bahuts privés comme Stanislas, le logiciel « Faits établissements » est désormais devenu obligatoire. Mais combien de violences sur les enfants auraient pu être évitées ? Quand le privé sera-t-il réellement obligé d’appliquer la loi, comme l’organisation de campagnes de vaccination contre le papillomavirus, la mise en place de cours d’éducation à la vie affective et sexuelle qui ne rejettent pas le droit à l’avortement, ou encore tout simplement des cours de religion réellement facultatifs ? Avec un lobby catholique qui a ses entrées au Sénat ou à Matignon, le séparatisme a de beaux jours devant lui.

Des effets concrets sur l’éducation : le privé a le vent en poupe

Si jusqu’ici le propos de cet article porte sur les hautes sphères et sur les cabinets dorés du ministère, il faut comprendre comment l’entrisme catholique prend effet concrètement. Ce n’est une surprise pour personne, l’éducation est une question de moyens, et en particulier de moyens humains : profs, agents territoriaux, personnels de vie scolaire, d’orientation, de santé, etc. Et sur la question des moyens, on pourrait résumer la politique scolaire actuelle à travers une simple phrase : des moyens en plus pour ceux qui en ont le moins besoin.

Plus de moyens, car non content de recevoir une dotation publique du ministère presque équivalente à ce que reçoit l’école publique, le privé bénéficie des frais d’inscription des familles, de subventions publiques facultatives ou encore d’abattements fiscaux importants. Moins de besoins, car la population scolarisée dans le privé est largement plus favorisée que dans le public. On arrive ainsi à une hypocrisie totale où les établissements privés se vantent d’avoir les meilleurs résultats alors qu’ils n’ont aucun mérite pour cela, comme nous le dénoncions dans notre réponse au directeur de Saint-Stanislas à Nantes.

La logique séparatiste du privé peut même être renforcée par les institutions publiques elles-mêmes. Deux cas récents en Loire-Atlantique viennent appuyer l’idée d’un entrisme catholique au ministère ayant des effets concrets : les lycées de Savenay et de Pornic. La situation du lycée de Savenay d’abord est particulière, et complètement illégale : une trentaine d’élèves du secteur souhaitant s’inscrire au lycée se sont vus refuser l’entrée, car il n’y avait pas de place pour eux. Une trentaine d’élèves, c’est pourtant une classe déjà bien chargée, mais pas assez pour le rectorat qui cherche à faire exploser les effectifs avec un minimum de 35 élèves par classe.

Coup de bol, les services du rectorat ont en même temps validé l’ouverture d’une classe de seconde au lycée privé de Savenay. Hasard ou coïncidence ? L’éducation nationale est obligée d’accueillir la trentaine d’élèves à Savenay, sauf si une inscription dans un autre lycée est validée. Le rectorat a donc littéralement propulsé 30 adolescents vers l’enseignement privé catholique, affaiblissant toujours un peu plus l’éducation publique et laïque.

La méthode est encore plus vicieuse à Pornic, où un lycée privé devrait bientôt ouvrir. Prévue pour la rentrée 2025, l’ouverture est décalée mais il prépare son recrutement. Pour éviter une trop grande perte d’élèves face à cette concurrence, le lycée public a mis en place de nouvelles options et spécialités, mais c’était sans compter sur le sabotage du rectorat. Car il s’agit bien du sabotage de la rentrée 2025 qui a été organisé par la direction académique, en ouvrant deux classes supplémentaires au dernier moment sans donner au lycée tous les moyens qui lui permettraient de les faire fonctionner. 70 élèves de plus à accueillir, mais pas de surveillant en plus, et surtout 23h de cours en moins à donner côté prof : le lycée va devoir économiser. Conséquence directe : des travaux en petits groupes qui disparaissent, moins d’aide personnalisée, moins de soutien, etc.

La situation relève d’une politique du « marche ou crève » pour le syndicat SUD, qui a dénoncé la situation sans être entendu pour le moment. Mais les équipes du lycée de Pornic sont mobilisées et la rentrée pourrait bien commencer par une journée de grève. L’objectif : rappeler aux familles que si les conditions d’enseignement de leurs enfants sont pourries, ce n’est pas la faute des profs, mais d’une volonté de saborder l’éducation publique et laïque au profit de l’enseignement catho. Une volonté appliquée du sommet du pouvoir jusqu’aux gratte-papiers du rectorat, qui mettent concrètement en place la casse d’un service public d’éducation.


Quand est-ce qu’on arrête de financer le séparatisme catholique ?


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