Bac Nord : un film de propagande policière acclamé par la presse


Fascisme culturel : analyse


Scène de "BAC Nord" où un flic pointe son arme de service. À côté, un tweet de Marine Le Pen qui incite à aller voir le film.

Il fut un temps pas si lointain où le cinéma français se moquait de la police, avec des films comiques sur «Les ripoux», où Coluche incarnait un «Commissaire Labavure». Une époque où il était normal de tourner les gendarmes en dérision, et où les chansons populaires critiquaient les uniformes. C’était avant que l’imaginaire d’extrême droite ne contamine absolument toute la société française et que ne sorte «BAC Nord».

Avec le film «BAC Nord», c’est un authentique long métrage de propagande d’extrême droite qui a déboulé sur les grands écrans, et dont la presse fait une promotion écœurante. Ce film est un cadeau de rentrée pour Marine Le Pen, qui tweete : «la réalité c’est ce film ! Allez le voir!» BAC Nord, c’est donc «la réalité» vue par le Rassemblement National.

UNE HISTOIRE VRAIE ACCABLANTE

Non seulement ce film est un monument à la gloire de la police, mais il s’inspire de faits réels peu glorieux. En 2012, 18 policiers membres de la BAC du Nord de Marseille sont arrêtés pour corruption, racket, trafic de drogue et enrichissement personnel. Des enquêteurs trouvent des sachets de cannabis dans les placards du commissariat.

En première instance, le tribunal correctionnel de Marseille condamne onze policiers à des peines allant de deux mois à un an de prison avec sursis et prononce sept relaxes. En appel, les agents doivent être rejugées dans les mois qui suivent. Bref, c’est une affaire de ripoux qui ressemble à celle de la Compagnie d’Intervention du 93, impliquée l’an dernier dans une vaste affaire de violences et de trafics de drogue.

Ainsi, «BAC Nord» traite d’une affaire judiciaire en cours, et ne se gêne pas pour prendre ouvertement parti, en utilisant de vraies images d’archives mélangées à des éléments de fiction censés prouver que les policiers n’ont fait que leur travail. Qu’ils étaient «obligés» d’agir ainsi. Héroïser de «bons flics» est déjà une routine quotidienne dans les médias. L’objectif de BAC Nord est de faire passer des agents condamnées pour des gentils.

DES POLICIERS HÉROÏSÉS

Le monde de BAC Nord se résume de façon rudimentaire : les héros sont les policiers de terrain, courageux, virils, sincères et contraints d’utiliser des méthodes illégales pour enquêter sur les «méchants». En face, les habitants des quartiers : uniquement des dealers, eux même uniquement effrayants, inhumains, surarmés, dangereux. Ils constituent une masse hostile et sont montrés comme des animaux dangereux, des zombies à neutraliser par tous les moyens.

Et puis il y a l’IGPN, la police des polices. Dans la vraie vie, l’IGPN est une machine à protéger les policiers, plus personne ne l’ignore en France. Dans BAC Nord, l’IGPN est composé d’enquêteur tatillons, méticuleux, qui font tout pour empêcher les policiers de terrain de combattre les voyous. Le montage, la musique, la mise en scène : tout est mis au service d’un constat manichéen.

Le même genre de procédé de propagande avait été vu dans la série «Engrenage» : une saison était consacrée à la lutte de policiers contre «l’ultra-gauche» en 2012. Les militants y étaient présentés comme des illuminés fanatiques, armés et dangereux, face à des policiers démunis. Dans un des épisode, un policier éborgnait «par erreur» un squatteur avec son Flash-Ball, et toute la narration visait à rendre ce tir compréhensible et légitime. Ici, c’est pire, et c’est sur grand écran que ça se passe.

UN FILM FASCISTE ?

Ce film ne parle évidemment pas des initiatives solidaires dans les quartiers marseillais, de la débrouille, des amitiés. Par exemple, un McDonald’s fermé dans un quartier populaire avait été transformé en centre social et solidaire venant en aide à des milliers de personnes précaires l’année dernière. Des associatifs se mobilisent face aux carences sanitaires ou éducatives hallucinantes de l’État. Des résistances s’organisent.

Tout cela, c’est-à-dire la réalité, viendrait contredire l’objectif du film, le message : il faut donner carte blanche à la police dans les quartiers, supprimer l’IGPN, et récompenser cette unité de la BAC injustement accusée. Bien sûr, il ne sera pas question non plus des questions de brutalités policières, ni de l’utilité d’une telle « guerre contre la drogue », aussi inutile qu’absurde puisqu’elle ne règle aucun problème.

Quel sera l’impact d’un tel film ? La presse étrangère s’inquiète : lors de l’avant-première du film, un journaliste irlandais avait été choqué de la vision caricaturale de Marseille et avait ironisé : «j’ai vu ça avec l’œil d’un étranger et je me dis : peut-être que je vais voter Le Pen après ça» et dénoncé la présentation des quartiers comme des «zones hors de la civilisations […] j’étais gêné. Vraiment gêné. Et je n’étais pas le seul».

UNE PROMOTION AHURISSANTE

Pourtant, en France, les médias aux ordres font une promotion unanime du long-métrage d’extrême droite. «Excellent film» pour 20 Minutes, «testostéroné» et «à couper le souffle» pour le Parisien, «westen urbain» pour le Figaro et le JDD, «oasis inespérée» pour le journal «de gauche» Le Nouvel Obs. Résultat : un film en tête du Box Office.

À la télévision, l’extrême droite a colonisé tous les plateaux depuis des années. La classe politique a intégré toute la pensée réactionnaire et sécuritaire. Le cinéma français mainstream ne propose plus qu’une vision nihiliste et autoritaire de la société. La presse satirique agonise. Il est interdit de se moquer des forces de l’ordre.

Il n’y a plus de contre pouvoir nul part. Un appauvrissement intellectuel et politique est imposé partout. «BAC Nord» le montre encore une fois : l’imaginaire du fascisme est construit méthodiquement par les élites politiques, médiatiques et «culturelles» de ce pays.


Il est urgent et vital de proposer d’autres imaginaires, d’autres créations, d’autres discours que cet univers qui prépare le pire et nous mène droit vers l’obscurité.


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