Naufrage au large de la Grèce : les frontières tuent


Nécropolitique et racisme d’État


Bateau rempli à raz-bord d'exilé-es en Méditerranée : c'est ce type d'embarcation qui vient de faire naufrage en Grèce.

79 corps ont été repêchés et des centaines de personnes sont portées disparues depuis mercredi au large de la Grèce. Parmi elles, une centaine d’enfants. Le bilan est terrible. C’est le pire naufrage en Méditerranée depuis des années.

Dans la nuit de mardi à mercredi, une embarcation partie de Lybie transportant des exilé-es a chaviré, alors qu’elle se trouvait dans les eaux internationales, au large des côtes grecques. Les rescapé-es expliquent que le bateau en bois avait à son bord près de 700 personnes. La population d’un village.

Il aurait dérivé plusieurs jours en mer, sans doute après une panne. Un avion de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, l’avait repéré dès mardi après-midi. Les autorités Grecques et Européennes ont refusé de lui porter assistance. Vu l’ampleur du drame, elles prétendent désormais que les naufragé-es auraient refusé «toute aide». Pourtant, des enquêtes réalisées ces derniers mois ont prouvé que la Grèce refoulait régulièrement les exilé-es en mer.

En février dernier déjà, un naufrage au large de la Sicile avait causé la mort d’au moins 86 personnes. Durant des semaines, les corps s’échouaient sur une plage de Calabre. Ces hécatombes n’émeuvent plus grand monde en Europe, sur fond de montée du fascisme et de surenchère xénophobes.

Le chercheur camerounais Achille Mbembé a forgé en 2003 le concept de «nécropolitique» : politique de mort. Quand les autorités décident quel type de population laisser mourir et qui il faut sauver. Ici, les populations marginalisées, issues d’anciennes colonies, que l’Europe laisse délibérément se noyer à ses portes. Une logique de mise à mort, un crime par non assistance à personnes en danger.

  • Le 24 novembre 2021, les autorités française laissaient mourir 27 personnes, dont une fillette et six femmes, dans l’eau glacée de la Manche, au large de Calais. Une enquête du Monde a retracé le calvaire des naufragé-es. Sur le bateau en train de couler, les exilé-es ont appelé à l’aide toute la nuit, en téléphonant au centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes, des militaires sous autorité de la préfecture : «Venez vite s’il vous plaît» implorait la personne au téléphone. L’opératrice avait dit en aparté à ses collègues «je vais lui sortir la phrase magique, pas de position pas de bateau de secours».
  • En octobre et novembre dernier, des réfugié-es sauvé-es en mer par le navire Ocean Viking étaient refoulé-es au large de l’Europe. Le 11 novembre, l’Ocean Viking accostait finalement au port militaire de Toulon. Mais plutôt que d’accueillir et de prendre soin des enfants, des femmes et des hommes qui avaient échappé à la noyade et attendaient depuis des semaines sur un bateau, Darmanin a choisi de parquer et d’enfermer tous les rescapé-es dans une zone d’attente, sur une presqu’île, entourée de forces de l’ordre. Il avait réclamé, en-dehors de toute procédure légale, l’expulsion immédiate de dizaines de ces réfugié-es. Une politique d’extrême droite parfaitement assumée.
  • En avril 2021, un pêcheur libyen avait alerté sur un bateau en détresse avec 150 personnes à bord, hommes, femmes, enfants. Les associations de secours avaient alors désespérément relayé l’appel à l’aide à Frontex, qui avait les moyens de les sauver. Mais l’Europe n’a pas bougé : seulement l’envoi d’un avion de reconnaissance, 7 heures après, qui ne pouvait que constater la tragédie. Tout le monde était déjà noyé.
  • Aux confins de l’Europe, entre la Pologne et la Biélorussie, des milliers d’exilé-es ont été bloqué-es durant l’hiver 2021 sur une frontière complètement militarisée. Murs barbelés, forces armées polonaises et biélorusses déployées, chiens policiers et hélicoptères, qui empêchaient la progression de ces hommes, femmes et enfants. Certaines personnes sont mortes de froid.
  • En 2020 à Calais, l’accroissement des différents dispositifs de contrôle le long de la frontière franco-britannique avait coûté plus de 425 millions d’euros en 3 ans. La construction de murs, la pose de barbelés, le développement de la vidéosurveillance ou des drones, l’augmentation des effectifs de force de l’ordre et de leur arsenal, toutes ces mesures représentent une somme élevée, uniquement pour chasser les exilé-es, pour les punir d’exister.
  • En 2019, Pia Klemp était poursuivie par le gouvernement italien pour «aide à l’immigration», et risquait une lourde peine de prison. Cette jeune capitaine allemande avait sauvé des centaines de vies dans la mer Méditerranée. Avec son navire, elle se porte au secours des exilé-es qui risquent de se noyer en pleine mer. Conformément au droit maritime qui prévoit qu’un capitaine doit porter secours aux personnes en détresse.
  • En août 2022, huit cadavres sont repêchés en mer au large de Murcie, en Espagne. Parmi eux, ceux d’une famille avec une femme enceinte et deux enfants. Des corps sont retrouvés sur une plage de La Manga. À côté : des touristes qui boivent de la bière et ne jettent pas un regard sur la dépouille, recouverte d’une bâche par les autorités.

Le racisme d’État et les politiques de déshumanisation tuent massivement. On considère qu’au moins 20.000 personnes sont mortes en Méditerranée, aux portes de l’Europe, depuis 6 ans. Victimes d’une nécropolitique néocoloniale.

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.

Laisser un commentaire