Un an après le désarmement de l’usine Lafarge du Val de Reuil : 3.700 pages de la procédure, des mois d’enquête, des dizaines de policiers mobilisés, des perquisitions et des gardes à vue aboutissent à 5 relaxes et 4 peines de prisons avec sursis.

« On ne sait pas comment le présent jugera cette affaire, mais j’ai l’impression qu’on sait toutes et tous déjà comment le futur la jugera ». Cette déclaration de l’un-e des 9 prévenu-es inculpé-es dans l’affaire Lafarge du Val de Reuil a des airs de prédiction. Le procès se tenait à Evreux les 19 et 20 décembre. Un procès bunkerisé : les routes sont barrées autour du tribunal, des dizaines de CRS déployés, des barrages filtrants mis en place. Justice spectacle pour un procès politique.
Rappel des faits
Nous sommes le 10 décembre 2023. Les Soulèvements de la Terre avec 200 organisations écologistes, paysannes et syndicalistes lancent un appel contre le monde du béton. Des événements sont organisés dans toute la France. Un groupe mystérieux d’une centaine de personnes vêtue de combinaisons blanches surgit de la forêt normande de Bord, menacée par un projet d’autoroute, pour entrer sur le site du bétonneur Lafarge.
Sur place, des inscriptions fleurissent pour rappeler à toutes et tous la vérité sur l’entreprise, les conséquences de l’exploitation qu’elle perpétue sur le territoire français et au-delà. Des banderoles sont déployées, sur lesquelles on peut lire «Moins de ciment, plus de vivant et de paysans».
Des désarmements facétieux ont lieu sur le site. Les bureaux sont déménagés, les tuyaux d’une toupie remplis de mousse, des murs recouverts de peinture. Rien de grave, comparé aux ravages commis par Lafarge sur l’environnement. Les combinaisons blanches se dispersent dans la nature en un instant, alors que la police arrive, tirant des grenades à bout portant.
Les autorités et la presse créent un récit anxiogène autour de cette action. France 3 parle de «centaines de milliers d’euros de dégâts», d’un membre du personnel «séquestré» (cette fameuse séquestration de 10 minutes qui expose aujourd’hui les prévenu-es à une peine encourue de 10 ans), du capital financier menacé de l’entreprise.
Dévoiement de l’antiterrorisme
Le stratagème est employé depuis quelques années maintenant. Mettre au service de la répression un terme qui fait peur : le terrorisme. Dans le cas du soutien à la Palestine par exemple, c’est « l’apologie du terrorisme » qui est brandie pour mettre au pas les voix qui s’élèvent pour condamner le génocide en cours. Des étudiant-es, des syndicalistes (le responsable de la CGT Jean-Paul Delescaut avait même été condamné pour «apologie du terrorisme» pour un tract), des universitaires, des personnalités politiques comme Rima Hassan, Mathilde Panot sont convoqué-es dans le cadre de ces enquêtes.
Au-delà du fait de criminaliser les opposant-es et de justifier a priori toute la violence qui pourra être employée contre elleux, parler de terrorisme permet de justifier le recours à l’antiterrorisme. Face à une baisse de l’activité djihadiste en France, la SDAT se cherche de nouveaux débouchés pour justifier son budget et son existence. L’affaire Lafarge est une opportunité pour elle de se positionner sur des dossiers liés à l’écologie. Cette terminologie permet de coller une image dangereuse à toute personne qui contesterait la planification du ravage.
On notera le fait que les actions de la FNSEA, pourtant bien plus violentes (on se rappelle notamment de l’explosion d’un bâtiment de la direction régionale de l’environnement à Carcassonne) ne sont jamais qualifiées de terroristes. « On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS » justifiait même Darmanin début 2024.
Dans le cadre du quintuple meurtre commis à Dunkerque le 14 décembre, dont deux exilés, l’auteur présumé n’est ni musulman, ni sous OQTF. On n’a donc pas parlé d’acte terroriste. Cette différence de traitement montre que l’appareil répressif n’a pas pour rôle d’identifier les auteurs d’une infraction mais bien de neutraliser des opposant-es politiques, et d’instiller la suspicion et le doute dans l’opinion publique.
Du côté du droit, rien ne protège les militants-es de l’antiterrorisme. Comme le rappelle le juriste Olivier Cahn, «le flou de la notion de terroriste» – associé à la nature préventive de la justice antiterroriste – aboutit à une situation où «on a mis le droit en état de permettre à un régime autoritaire de se débarrasser de ses opposants sans avoir à changer la loi».
Le traitement de ces militant-es est fait pour être traumatisant et les décourager de lutter. Le 8 avril 2024, les activistes jugés aujourd’hui ainsi que 8 de leurs camarades voient leur domicile assaillis par les forces de l’ordre. Portes enfoncées au bélier, mauvais traitement, jusqu’à 78h de garde à vue dans les caves de la SDAT.
L’un des prévenus raconte avoir été braqué, nu, puis tabassé au sol pendant près d’une minute au moment de son arrestation, ce qui lui a valu 4 jours d’ITT : « Mon intimité et mon corps ont été piétinés. Il m’arrive de me réveiller encore la nuit et de faire des cauchemars de cette scène » explique-t-il. Un autre souligne : «Quand on voit l’arsenal de moyens déployés et les graves chefs d’inculpation, on en devient un peu parano. J’avais peur ensuite d’aller en manifestation ou ne serait-ce que de lire un tract syndical».
L’objectif est clair : terroriser. Ainsi, même si le-a prévenu-e est relaxé-e, on espère que le traumatisme du traitement subi suffira à le-a dissuader de continuer la lutte.
Un procès politique qui se dégonfle
Les 9 prévenu-es ont entre 28 et 77 ans. Leur stratégie collective est de refuser de répondre aux questions du Tribunal et de contester les faits. Le procureur lui-même reconnaît le caractère « légitime et parfaitement respectable » de leur combat, et récuse le terme d’écoterroriste avant de requérir des peines «symboliques» selon lui.
La peine encourue par les activistes était pourtant de… 10 ans de prison, pour association de malfaiteurs et séquestration. Lafarge réclame 278.000 de dommages et intérêts. Comme toujours lors de ces procès politiques rien ne va dans le dossier. Les avocat-es de la défense parlent de « dossier gruyère ».
Les « preuves » ont été collectées illégalement sans réquisitions de magistrat. Les images sont floues, les analyses génétiques contestées, les preuves matérielles sans scellés. Pour l’un d’entre eux, c’est la détention d’un livre de Joseph Proudhon, précurseur de l’anarchisme, qui est versé au dossier… «On ne sait toujours pas ce qu’on reproche individuellement à chacun des prévenus», estimait Aïnoha Pascual, l’une des avocates, avant l’audience.
Le verdict tombe : 5 relaxes, 4 personnes condamné-es. On est loin des 10 ans encourus : 6 à 10 mois de prison avec sursis. 3.700 pages de procédure, des mois d’enquête, des dizaines de policiers mobilisés pour ça. Mais les conséquences pour les cibles de cette procédure sont énormes, comme le rappelle le président du Tribunal : « Si dans les cinq ans à venir, vous renouvelez des faits infractionnels, vous serez condamnés à de l’emprisonnement ». Autrement dit, arrêtez de lutter ou c’est la prison. Le message est clair.
Lafarge est le vrai terroriste
Si on veut chercher un vrai coupable de terrorisme, il faut le chercher du côté de la partie civile, celle qui porte plainte. En effet, rappelons que Lafarge est mis en cause dans des affaires de financement du terrorisme en versant 13 millions d’euros à des groupes djihadistes en Syrie, dont l’État islamique, et de complicité de crime contre l’humanité.
« On peut penser que l’argent versé à Daech pendant des années a pu permettre de financer les attentats qui ont eu lieu en France » avait même indiqué Justine Augier dans un article de L’Humanité. En outre, rappelons que le monde du ciment est responsable de 8% des émissions de CO2 mondiales, soit trois fois plus que le secteur aérien. Lafarge, en plus de financer les terroristes, condamne notre avenir.
Soutien à toutes celles et ceux qui luttent pour la sauvegarde du vivant, au péril de leur vie et de leur liberté. Ils et elles sont du bon côté de l’histoire.
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2 réflexions au sujet de « Procès Lafarge : qui sont les vrai écoterroristes ? »
Lafarge : entreprise ecoterroriste dans une société capitalofacsiste aux mains des Tyrans sanguinaires, des milliardaires, des grands bourgeois cossus et des dictateurs assassins, qui au nom de leurs intérêts détruisent l’humanité et le monde du vivant en générale
En 1930 le slogan de la bourgeoisie c’était : « plutôt Hitler que le front populaire » et en 2024 elle vient en proclamer un autre auprès des populations pour dire : plutôt Lafarge que les soulèvements de la terre.