Un discours poussif, confus et destiné à fracturer le Nouveau Front Populaire en tendant la main au Parti Socialiste, toujours prêt à la trahison. C’est ce qu’a offert François Bayrou à l’Assemblée Nationale, ce 14 janvier, pour son discours de politique générale.

Un quart d’heure à peine après le début de sa prise de parole, le Premier Ministre s’est arrêté pendant une trentaine de secondes paraissant interminables, tournant ses feuilles de notes, gêné. «Il y a eu un peu de mélange dans mes pages. Je suis un néophyte et donc je suis bien obligé d’apprendre ce métier», a bredouillé Bayrou, pourtant politicien professionnel depuis 40 ans. Un élève de seconde qui ferait cela lors d’un exposé recevrait une mauvaise note. Ici, il s’agit du chef du gouvernement français.
Dans ce genre de discours, les nouveaux Premier Ministres ont l’habitude de mentionner des auteurs ou de déployer des références intellectuelles. Bayrou n’a cité qu’un livre : «Paris et le désert français». Un ouvrage paru en 1947, prônant la décentralisation. Un peu daté. Problème : son auteur était un pétainiste, et le livre contient des passages racistes et favorables à l’autoritarisme, qui ont même dû être supprimés par l’éditeur lors des rééditions.
Son auteur, Jean-François Gravier, a travaillé pour le régime de Vichy en tant que chargé de mission au Secrétariat général. Il a aussi contribué à la revue pétainiste « Idées », a été nommé directeur d’une École nationale des cadres civiques, autre institution vichyste. Il fut encore chargé d’une mission consacrée à «l’amélioration de la race humaine». Après guerre, loin de renier ses idées, Gravier collabore au Courrier français, une revue royaliste.
Dans un article de 2008, le journal Le Monde confirme que cet auteur «a été membre des étudiants royalistes d’Action Française, puis a continué à graviter dans les milieux de la droite monarchiste, avant de travailler pour Vichy».
Si le livre «Paris et le désert français» a été longtemps considéré comme une référence en matière de décentralisation, des historiens n’ont pas manqué de souligner l’inspiration pétainiste de cet ouvrage. Pour autant, on pourrait donner à Bayrou le bénéfice du doute. Penser qu’il a eu un mot maladroit, qu’il s’agit d’une référence malheureuse rédigée par un de ses conseillers. Mais ce serait oublier les nombreux clins d’œil du même type utilisées par l’extrême-centre ces dernières années, Macron en tête.
En 2021, Emmanuel Macron créait une institution baptisée France Mémoire, et qui propose chaque année des figures susceptibles d’être célébrées : un service de «Commémorations nationales». Par exemple, en 2021, le journal Le Monde écrivait «s’il a commémoré Napoléon cette année, Emmanuel Macron n’a ainsi pas souhaité honorer la Commune de Paris». Pour 2022, France Mémoire proposait de commémorer l’écrivain Maurice Barrès. Une figure importante du nationalisme et de l’antisémitisme, et même l’un des fondateurs d’une forme de fascisme français. Dès la fin du 19ème siècle, Maurice Barrès menait une campagne politique pour un «socialisme national». Il était évidemment dans le camp anti-Dreyfusard, contre ce militaire juif accusé à tort de «complot». Il écrivait : «Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race».
Cet écrivain était nationaliste et xénophobe, mais aussi obsédé par la «revanche» contre l’Allemagne. Il fait partie des personnalités qui endoctrinent les esprits avant la guerre qui éclate en 1914 et provoque des millions de morts. Pendant le conflit, Barrès est planqué à l’arrière, loin des bombes, mais il met toute son énergie dans la propagande de guerre. Barrès est aussi un ennemi de l’égalité sociale. Il écrit cette phrase d’un cynisme absolu que Macron pourrait faire sienne aujourd’hui : «Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale».
Cette référence s’inscrivait déjà dans la lignée d’autres déclarations présidentielles, par exemple sur Pétain qualifié de «grand soldat», ou la phrase de Macron en 2015 selon laquelle il «manque un roi» en France. Ou encore son hommage à Maurras, autre figure antisémite et théoricien d’extrême droite… Macron a même nommé un Ministre de l’Intérieur issu des rangs de l’Action Française en la personne de Gérald Darmanin.
En pleine révolte populaire contre la casse du système de retraites, Macron avait poussé la chansonnette avec des fascistes faisant la promotion de Canto, une application de chants royalistes et réactionnaires. La mise en scène, grotesque et officiellement fruit du hasard, avait été organisée par un journaliste de Valeurs Actuelles, un torchon d’extrême droite à qui le Président avait déjà concédé un entretien exclusif en 2019.
Un soir d’automne 2023, alors qu’il discutait avec le ministre de la Santé de l’époque de l’hôpital public, Macron a lancé : «Le problème des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou». Son ministre, lui a répondu : «Non, ce n’est pas le premier problème de l’hôpital». Macron, insistant : «Si si, tu vas voir».
En janvier 2024, lors d’un discours télévisé, Macron avait résumé son programme «autour d’une ligne simple» : «Que la France reste la France». C’est littéralement le slogan de campagne du néofasciste Éric Zemmour.
Quant à Bayrou, il a publiquement soutenu Marine Le Pen dans le cadre de son procès, alors qu’elle risque l’inéligibilité. En décembre, à peine nommé Premier Ministre, il avait refusé de qualifier le RN de parti d’extrême droite, en se contentant de déclarer que, pour lui, le parti «ne respecte pas un certain nombre de valeurs et de principes, il est protestataire». Finalement, le RN serait donc un interlocuteur acceptable, contrairement à la France Insoumise, constamment traitée d’«anti-républicaine».
Juste avant l’élection présidentielle de 2022, François Bayrou avait déjà volé au secours de Marine Le Pen pour lui donner sa signature, nécessaire pour se présenter. À l’époque, il disait avoir parrainé Le Pen «pour sauver la démocratie».
Lors d’un débat télévisé pour les législatives de 2022, face à un député du Rassemblement National, Bayrou avait été très conciliant avec le parti. Il avait lancé à son propos : «Je ne sais pas si ça s’appelle extrême droite». Même le politicien très à droite Jean-François Copé, présent sur le plateau, avait été choqué : «Ça, c’est la meilleure de l’année. Vous faites une concession à l’extrême droite qui est vraiment touchante !»
En septembre dernier, François Bayrou déclarait sur BFM, à propos de la dissolution de l’Assemblée : «Le but de cette élection n’était pas de désigner un vainqueur mais d’écarter des gens dont on ne voulait pas». Sous-entendu : les partis de gauche. Dans le monde de Bayrou, le RN n’est pas d’extrême droite, et il faut même sa validation pour choisir les membres du gouvernement, mais la gauche, même molle, doit être «écartée».
L’apothéose de cette sinistre carrière a, bien évidemment, été de nommer le gouvernement le plus réactionnaire de la Cinquième République, avec des ministres ouvertement d’extrême droite comme Bruno Retailleau, en dépit du verdict des dernières élections.
L’extrême-centre, c’est une tendance politique vide et flasque, capable de dire tout et son contraire, pour finalement s’allier avec l’extrême droite une fois au pouvoir. L’histoire nous l’a montré de manière funeste par le passé.
Une motion de censure a déjà été déposée et signée par des députés insoumis, écologistes et communistes contre le gouvernement Bayrou. Elle sera examinée jeudi.
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