«Il faut se préparer très jeune, dès le départ, presque depuis la maternelle, à réfléchir de la façon dont on se projette dans un métier» : quand Élisabeth Borne veut mettre la jeunesse au travail.

La fin du travail des enfants, comme le droit aux retraites, ont été arrachés de haute lutte au patronat par d’intenses mobilisations sociales. Sans les combats acharnés menés par les générations passées, les enfants de familles pauvres travailleraient encore dès le plus jeune âge : l’emploi des mineurs de moins de 14 ans n’a été interdit qu’en 1919. De plus, les anciens mourraient toujours à la tâche : la première loi sur les retraites ouvrières ayant été votée en 1910, mais il faudra attendre 1945 pour qu’un véritable droit à la retraite soit obtenu.
Sur ces deux sujets, le gouvernement Macron met tout en œuvre pour revenir plus d’un siècle en arrière.
C’est le sens de la phrase ahurissante prononcée par Élisabeth Borne sur le plateau de la chaîne LCP ce mardi 8 avril : «Il faut se préparer très jeune, dès le départ, presque depuis la maternelle, à réfléchir de la façon dont on se projette dans un métier». Elle évoquait une énième réforme destructrice de l’Éducation Nationale. Car Borne est une ministre multifonction du macronisme, aujourd’hui chargée de gérer le système éducatif.
Lors de sa nomination le 24 décembre dernier à l’Éducation, elle avait déclaré tranquillement : «Je ne suis pas spécialiste des sujets liés à l’éducation». Une erreur de com’ ? Pas du tout, Borne persistait le 5 janvier sur BFM : «Je ne crois pas qu’on attende d’un ministre qu’il soit un spécialiste de ses sujets, ou alors on peut regarder les CV de tous». En tout cas, Borne a prouvé sa compétence dans un domaine : rester inflexible face aux mobilisations qui tentent de sauver le peu de solidarités qu’il nous reste.
Le Ministère de l’Éducation est le plus important de France : 1,2 million d’agents dont 713.500 enseignants dans le public, il représente un cinquième de l’emploi public en France. C’est le premier budget de l’État, et le ministère le plus stratégique puisqu’il sert à former les générations futures. À la tête du ministère, on pourrait trouver des personnes compétentes, formées aux méthodes pédagogiques, des gens qui pratiquent et aiment l’enseignement, qui connaissent ce métier et respectent son personnel. Mais non, Macron place à chaque fois les personnes les plus incompétentes, méprisantes et étrangères au métier qu’il a pu trouver.
Il y a eu Amélie Oudéa-Castera, qui haïssait l’Éducation Nationale au point de mettre ses enfants dans une école privée catholique intégriste. Gabriel Attal, qui n’a jamais posé ses fesses sur les bancs d’une école publique. Son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, avait au moins le mérite d’avoir déjà donné quelques cours dans sa vie, mais il envoyait ses consignes aux profs par mail, la veille pour le lendemain, pendant ses vacances à Ibiza.
Avant Borne, Anne Genetet, n’avait absolument aucun lien de près ou de loin avec l’Éducation. Elle incarnait même l’antithèse des valeurs attendues dans l’enseignement. «Expatriée», le nom poli pour qualifier les immigrés occidentaux, pendant des années à Singapour, elle avait fondé une entreprise de conseil pour bien choisir ses domestiques dans la ville asiatique. En 2024, elle expliquait à propos du SNU «qu’il s’agit de mettre en œuvre la souffrance, la discipline et les rites» pour la jeunesse. Une belle vision de la pédagogie.
Et Borne ? Son bilan à Matignon est l’un des plus inquiétants de la Cinquième République : 23 recours au 49.3 en un an et demi, un record absolu sur un laps de temps si court, pour imposer les pires reculs sociaux depuis la Libération. Avant cela, cette polytechnicienne a fait carrière dans le microcosme des hauts fonctionnaires. Avant d’entrer en politique, elle avait fait un séjour dans le privé, puis été préfète de la région Poitou-Charentes et présidente de la RATP.
Au moment de l’élection de Macron, Borne avait abandonné ses réseaux du PS pour entrer dans le gouvernement. Ministre des transports, elle avait organisé dès 2018 une réforme de la SNCF, privatisant le réseau ferroviaire et détruisant le statut de cheminot, avec les conséquences que l’on connaît. Ministre du Travail, elle avait réalisé une première réforme scélérate de l’assurance chômage en baissant les allocations. Première Ministre lors du repas de Noël 2022 à Matignon, Élisabeth Borne a enfilé un maillot de foot floqué des chiffres 49.3 pour amuser la galerie. Au début de l’année dernière, Élisabeth Borne avait été jetée comme une malpropre par Macron, avant d’être repêchée à l’Éducation, après la chute du gouvernement. Mais sans rien y connaître, donc.
Venons-en à sa déclarations du jour : selon elle, les élèves doivent commencer à réfléchir à leur orientation professionnelle «très jeunes, presque depuis la maternelle». Ici, Borne résume toute la philosophie des néolibéraux : mettre les enfants des classes populaires au travail dès le plus jeune âge, sans pouvoir faire d’études.
Dès 2009, les gouvernement successifs ont organisé la professionnalisation des mineurs, avec la signature de contrat pour les jeunes de 16 ans, afin de les orienter vers les métiers «en tension» comme le bâtiment, le nettoyage, les métiers de l’accompagnement, la restauration… Bref, des métiers difficiles et mal payés. Autant les envoyer le plus tôt possible, avant qu’ils n’aient eu le temps de se former, d’accéder à des connaissances et acquérir de l’esprit critique. Il faut des jeunes corvéables, de la chair à patron.
Avec Macron, c’est la même logique qui est derrière la réforme des Lycées Professionnels, celle de l’assurance chômage et celle des retraites. Mettre les classes populaires au travail dès 15 ans d’un côté, les faire travailler plus longtemps de l’autre, et casser leur droit au chômage pour les forcer à trimer sans filet de sécurité. Et tout cela au détriment d’une formation globale et complète de qualité. Les grandes écoles, les études longues, les connaissances, tout cela est réservé à l’élite. Ces politiques n’ont pour but que d’empêcher toute possibilité d’ascension sociale par les études : la bonne vieille «méritocratie» dont on parle tant est désormais rendue inaccessible. Tu nais pauvre, tu restes pauvre.
Faire travailler les enfants peut tuer. Le 16 juin 2022 dans le Vignoble nantais, un jeune homme de 14 ans était en «stage en entreprise» juste avant les vacances scolaires : un stage d’une semaine en vue d’un apprentissage. Il participait au chantier de démolition du garage d’une maison. Un mur s’est effondré sur lui. Il n’a pas pu être sauvé. Pendant que les enfants de riches peuvent faire des stages dans des boites de graphisme ou dans les bureaux des grandes entreprises, les enfants de pauvre sont orientés dès le collège vers des boulots éreintants et dangereux.
Le 31 mars 2022, lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron expliquait à un restaurateur face à la presse que «tous les enfants découvriront, de la 5e à la 3e, plusieurs métiers, dont les métiers techniques et manuels». Les néolibéraux généralisent peu à peu les contrats précaires et dérogatoires au code du travail pour les jeunes, les stages sous-payés. Rappelons que la dernière grande lutte qui fut un peu victorieuse, celle du CPE en 2006, luttait déjà contre cette précarisation des plus jeunes.
Macron évoque désormais l’envoi en formation et alternance de jeunes de 12 ou 13 ans. Une école taillée pour l’entreprise, où les plus en difficulté sont éliminés toujours plus tôt du circuit, et où l’université n’est qu’un objectif lointain et inaccessible. La sélection sociale a lieu dès l’adolescence, et bientôt dès la maternelle si on écoute Borne.
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