Un déni généralisé à propos des actes anti-musulmans

En France, les violences racistes, et en particulier celles qui visent les musulmans et musulmanes, subissent une triple invisibilisation : médiatique, judiciaire et statistique. Tout est mis en œuvre pour faire comme si cela n’existait pas.
Officiellement, selon les données du ministère de l’Intérieur, 173 «faits antimusulmans» auraient été recensés en 2024. Très loin derrière les actes «anti-chrétiens» et «antisémites». Des chiffres ridiculement réduits, pour la simple et bonne raison qu’une partie de ces actes sont commis par des agents de l’État eux-mêmes qui, rappelons-le, votent RN pour une écrasante majorité, mais aussi parce que la plupart des victimes ne portent pas plainte.
Pourtant, même quand ces agressions racistes sont suffisamment graves pour qu’une plainte soit déposée, la justice s’empresse d’écarter, en dépit de toute évidence, leur caractère anti-musulman. C’est le cas avec l’assassinat d’Aboubakar Cissé.
Le 25 avril, à La Grand-Combe dans le Gard, Aboubakar est poignardé à plus de 50 reprises dans une mosquée. Ce vendredi matin, jour de prière en Islam, le tueur a choisi de se rendre avec un grand couteau dans un lieu de culte musulman, de demander à un fidèle présent sur place de lui montrer comment prier, avant de le poignarder quand il était agenouillé.
Le tueur a ensuite pris des photos de la victime avec son téléphone, exhibant l’arme du crime, et déclarant : «Je l’ai fait, ton Allah de m**…». 50 coups de couteau, c’est un massacre, un déferlement de haine. C’est ce qu’on nomme un «surmeurtre» en criminologie : il ne s’agit pas seulement de tuer, mais de s’acharner sur un corps pour anéantir ce qu’il représente symboliquement. Ici, un musulman. Le procureur soulignera d’ailleurs d’abord «la très grande froideur» et «la grande maîtrise de lui» du tueur.
Nous avons donc un lieu de culte choisi délibérément un jour de prière, une insulte envers Allah, un meurtre sauvage, un semblant de revendication filmée, et pourtant la justice a décidé de ne pas retenir le caractère islamophobe. Que faut-il de plus ?
Vendredi 2 mai, la procureure de Nîmes organisait une conférence de presse où tout semblait fait pour déresponsabiliser le criminel et transformer ses actes en simple fait divers. Dans un exercice de déni invraisemblable, la magistrate a évoqué «un contexte isolé», elle a prétendu que les motifs de l’agresseur «sont apparus comme profondément personnel» – comme si le fait d’agir seul cela excluait une intention raciste – et a écarté en bloc tout caractère islamophobe.
Il faut dire que, quelques jours plus tôt, le Ministre de l’Intérieur en personne avait hurlé lors d’un meeting «à bas le voile», se rendant complice d’un climat propice au passage à l’acte. Et qu’après la mort d’Aboubakar, il ne s’était pas déplacé, avait refusé de parler d’islamophobie, et qu’aucun représentant de l’État n’était présent à la marche en hommage à la victime. Une série de choix politiques.
Imaginez qu’un Ministre hurle «à bas la kippa» ou «à bas le crucifix» et que, deux semaines après, un assassin poignarde sauvagement un fidèle en train de prier dans une synagogue ou une église, en injuriant le Dieu de la religion concernée. Par quelle contorsion intellectuelle peut-on écarter tout mobile ? Une victime musulmane est méprisée et niée jusque dans la mort.
Ce déni judiciaire n’est malheureusement pas nouveau. Le 17 novembre 2023 dans le Val-de-Marne, un retraité raciste avait attaqué Mourad, un jardinier franco-algérien qui nettoyait des branches chez une cliente. L’homme avait proféré des insultes telles que «bougnoules», avant d’aller chercher un cutter et de lui porter un coup dans le cou. Il avait causé une plaie profonde frôlant la carotide, Mourad avait échappé de justesse à la mort. Toute la scène avait été filmée par la victime, ne laissant aucun doute sur les responsabilités et les intentions de chacun.
Pourtant, les policiers ont d’abord refusé de prendre la plainte de la cliente de Mourad qui lui avait porté secours. Puis le tribunal judiciaire de Créteil avait relâché l’égorgeur 6 mois plus tard. L’agresseur bénéficiait d’une clémence hallucinante, et le parquet n’avait pas retenu la qualification de tentative d’homicide en raison de l’origine ou de la religion, des faits criminels. Le retraité n’a été poursuivi que pour «violences volontaires avec armes» et «injures à caractère racial».
Le 9 décembre 2022, un retraité raciste abattait son voisin, Mahamadou Cissé, d’une balle de fusil à Charleville-Mézières. Lors du procès, le procureur en personne avait qualifié ce crime raciste de «meurtre par exaspération» et le tueur avait été remis en liberté.
Le 26 décembre 2022 à Évry, en banlieue parisienne, un homme de 61 ans tirait sur une adolescente maghrébine de 13 ans qui rentrait chez elle. C’était trois jours seulement après un attentat raciste commis à Paris contre la communauté Kurde. La victime avait été blessée à la hanche par une balle. Le tireur, qui s’appelle Tonny F., avait affirmé aux policiers qu’il voulait rendre hommage à l’homme qui avait assassiné par balles trois militants kurdes quelques jours plus tôt.
Le journal Le Monde révélait que les services de renseignement avaient relevé des «propos tenus sur une» voisine tels que «bougnoule», et des menaces. Le retraité dénonçait son quartier comme étant «progressivement transformée en califat» et parlait «d’africanisation de l’Union Européenne». Toujours selon Le Monde, le retraité avait une réputation de «xénophobe» auprès de ses voisins. C’est donc un homme connu pour son racisme, armé, qui tire sur une adolescente maghrébine et revendique son acte… mais devinez quoi ? Le procureur chargé de l’affaire n’avait pas retenu la circonstance aggravante de racisme, pourtant essentielle. Et les chaines de télé avaient été étonnamment discrètes.
Enfin, après la dissolution de l’Assemblée prononcée par Macron l’été dernier, alors que le RN semblait aux portes du pouvoir, la France a connu une explosion de violences racistes – plus de trente cas recensés par Médiapart – visant essentiellement les personnes maghrébines. En-dehors de la presse locale et spécialisée, ces faits n’ont quasiment pas été traités dans les médias.
La généralisation de la parole anti-musulmane accompagnée de l’invisibilisation des victimes de racisme est un cocktail détonnant. Ce 3 mai à Bagneux, un homme était interpellé en possession d’une feuille de boucher à proximité d’une mosquée. Il était hospitalisé peu après, évitant là encore d’éventuelles poursuites pour un mobile raciste.
À Lyon le 5 mai, une femme musulmane s’est faite arracher son voile et a été violemment poussée au sol. En février, une mosquée du Loiret était incendiée. Ces cas seront-ils comptabilisés dans les statistiques ?
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