La police s’affiche toujours et encore dans la presse locale : Contre Attaque vous propose une série d’articles pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière le journalisme de préfecture. Après avoir décrypté des reportages policiers récents, mis en lumière leurs auteurs et développé le concept de contre-insurrection, ce dernier épisode s’interroge : y a-t-il de bons policiers ?

On a vu dans l’épisode précédent que la contre-insurrection était une doctrine théorisée par l’État français pendant la guerre d’Algérie. Mais alors, si c’est une doctrine, celle-ci doit bien être financée. En plus des journalistes complaisants avec le pouvoir, pour les raisons que l’on a évoquées dans notre deuxième épisode, on trouve des communicants dans les rangs de la police elle-même. Des centaines d’agents sont en effet embauchés à plein temps pour assurer la communication de la police, de la gendarmerie ou des différents services du ministère de l’Intérieur.
On ne parle pas ici d’agents « lambda » un peu simples qui postent des photos d’eux sur Twitter déguisés en Storm Troopers, comme l’avaient fait des policiers niçois en 2020. On parle de hauts-fonctionnaires recrutés au grade de commissaire, généreusement rémunérés, et qui sont chargés d’élaborer des stratégies de communication afin de préserver la réputation de la maison poulaga. Une douzaine de commissaires ont été recrutés en 2021 pour squatter les plateaux des chaînes d’infos, venant renforcer les plus de 400 « commissaires politiques » qui construisent la communication du ministère.
Quand des chroniqueurs participent à des émissions de talk show, ils sont payés. Ici c’est l’inverse : l’État paie des fonctionnaires pour diffuser une bonne image de la police dans les médias. Quel autre service public peut se targuer d’avoir une si bonne image médiatique ? Pourquoi ne pas imaginer des profs payés pour expliquer l’effet désastreux des classes surchargées sur l’enseignement ? Ou des facteurs pour dire combien la privatisation de La Poste s’est faite au détriment des usager-es ? Combien a-t-on vu de cheminots rémunérés pour aller expliquer les effets de l’ouverture à la concurrence sur le prix du train ?
Pour résumer, l’État s’acharne à diffuser partout dans les médias une image de « bon flic » : un policier qui connaît son métier, qui justifie chacune des actions de la police, qui dégoupille les critiques avant qu’elles n’explosent l’institution policière. Ce procédé est conscient et volontaire, mais ne concerne pas que les chaînes d’infos. Dans l’ensemble des productions culturelles, le ministère de l’intérieur peut aussi nouer des partenariats, fournir des conseils voire des subventions aux films ou séries qui valorisent les « métiers de la sécurité ».
On veut que des bons flics apparaissent à l’écran, et que lorsqu’un policier commet de mauvaise action, il s’agisse d’une brebis galeuse qui devra faire face à l’intraitable IGPN. C’est par exemple le cas du film «BAC Nord», véritable œuvre de propagande qui parvient à faire passer des flics ripoux pour des policiers que la justice harcèle et empêche de faire correctement leur travail.
Dans la réalité, il n’y a pas de bon policier, il n’y a qu’une communication bien policée. Une communication qui fait partie du maintien de l’ordre, puisque des flics sympas et compréhensifs se promènent jusque dans les manifestations. Il s’agit des ELI, les Équipes de Liaison et d’Information : une unité d’agents en civil spécialisés dans la collaboration de classe, qui travaillent avec les forces molles de la gauche afin de mieux « cadrer » les manifestations et d’en expurger les éléments considérés comme «radicaux». Une sorte de maintien de l’ordre en douceur, du soft power de préfecture.
Si les ELI ne participent pas directement à la répression, ils en sont les auxiliaires. Ces agents discutent avec certains syndicats, prennent la température et collectent des informations qui seront ensuite exploitées par les forces de l’ordre pour taper là où ça fera le plus mal. Lors du mouvement pour les retraites, en 2023, les ELI avaient ainsi participé à l’organisation d’un guet-apens contre le cortège de tête à Nantes, avec la collaboration de la CFDT. Ces ELI et leurs donneurs d’ordre ne cherchent pas à ce que ça se passe « bien », ils cherchent à écraser la contestation.
Une autre version des bons flics est devenue presque mythique : la « police de proximité », instaurée par Lionel Jospin en 1998 et supprimée cinq ans plus tard par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Ces flics sympas qui jouent au foot avec les jeunes dans les quartiers populaires ont laissé une trace durable dans les esprits. Nombre de partis situés à gauche revendiquent un retour de cette police, comme si elle symbolisait une sorte de « bon vieux temps » où les rapports avec les forces de l’État étaient pacifiés.
La police de proximité est pourtant d’abord une idée portée par Charles Pasqua, ancien Ministre de l’Intérieur et barbouze qu’on peut difficilement qualifier d’homme de gauche. Celui qui était le premier flic de France en 1986, à la mort de Malik Oussékine et Abdel Benyahia tués par des policiers, proposait en effet, au début des années 1990, de renforcer le lien de confiance entre les agents et les citoyens. L’objectif : mettre en place une police préventive qui puisse anticiper les actions illégales ou les débordements. Mais cette police de l’apaisement ne va pas à l’encontre de la répression : elle l’accompagne en désactivant au maximum les contestations.
C’est de ce vernis de bienveillance que s’est inspiré le Parti Socialiste, qui ne cesse de s’enorgueillir de sa police de proximité, au point que l’idée figure même au programme de la France Insoumise. Il y a pourtant bel et bien une continuité entre la police violente, qui crève des yeux, tire dans le dos ou étouffe de jeunes hommes racisés en garde à vue, et la police sympa qui patrouille dans nos quartiers. La contre-insurrection consiste précisément à agir de façon « bienveillante » d’un côté pour mieux brutaliser les contestataires de l’autre, en toute impunité et avec le soutien de la population.
En guise de répression «soft» et de contrôle social, le Parti Socialiste s’est également forgé une autre spécialité : le financement d’associations de quartier. Loin de réduire généreusement les inégalités, l’objectif du pouvoir local est cette fois de faire du maintien de l’ordre sans police. Ou plutôt de sélectionner les associations « amies » du pouvoir local, si possible directement avec des proches du parti à leur tête, en les subventionnant pour leur permettre de grossir et gagner en influence afin de servir de supplétifs de la police.
Lorsque la police tue, les « grands frères » vont chercher à canaliser la jeunesse pour que la colère s’exprime autrement que par une remise en cause du pouvoir. On entend à chaque fois les mêmes «appels au calme», les « marches blanches et silencieuses», les «il faut faire confiance en la justice». Et quand la justice tranche des années plus tard, par un classement sans suite, alors il est trop tard pour se révolter.
Ce procédé qui consiste à endormir la colère et à gagner du temps est systématique, et très efficace dans la plupart des cas. C’est cela qui n’a pas fonctionné lors des émeutes après l’assassinat de Nahel, et l’État a alors dû dévoiler son jeu et frapper durement les corps et les esprits, envoyant la BRI braquer des fusils à pompe sur des enfants.
On se souvient en revanche d’une manifestation « Black Lives Matter » à Nantes, interdite par la préfecture, qui avait mobilisée près de 4.000 personnes. À la place des uniformes : des animateurs, coachs sportifs ou des employés municipaux qui encadraient le cortège et désactivaient par avance toute velléité de débordement. Malgré le slogan « Pas de justice, pas de paix » scandé toute la manif, des prises de parole au micro demandaient à laisser « Nantes en paix », et chaque fumigène allumé donnait lieu à des réprobations des fameux « grands frères ».
Soyons clair : si l’on pense qu’il existe une lutte des classes, et que l’ordre actuel est injuste, alors tout aménagement du «maintien de l’ordre» pour le rendre plus efficace œuvre en faveur du maintien de l’injustice. La mission des forces de l’ordre, ce n’est pas de protéger la population mais c’est de maintenir l’état des choses tel qu’il est.
Changer les choses implique nécessairement de renverser l’ordre des choses. Cela passe donc par le désarmement de la police : pas uniquement sur le plan matériel, mais surtout de la désarmer idéologiquement afin de lui retirer son pouvoir de nuisance. La première étape pour y parvenir, c’est de rendre inopérante la propagande policière, de dénoncer la doctrine de contre-insurrection. Et d’arrêter de lire et de regarder les mêmes publi-reportages reproduits dans les colonnes de Ouest-France comme sur les plateaux de BFM, sur la brigade canine ou sur les exploits de la BAC.
Notre série d’articles sur la contre-insurrection est à retrouver dans la rubrique « État policier ».
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