Cette affaire terrible pourrait être une fable des temps modernes : des esclaves contemporains, privés de droits et exploités pour produire une boisson de luxe au service de l’un des hommes les plus riches de la planète. Ça se passe en Champagne, en France, en 2025.

Lundi 21 juillet, trois personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour traite d’êtres humains au tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. L’affaire qualifiée comme étant d’une «gravité exceptionnelle» remonte aux vendanges de l’année 2023. En ce mois de septembre, les conditions sont harassantes, il fait une chaleur extrême, les ouvriers agricoles sont à bout de force, à tel point que quatre décès ont lieu lors des vendanges en quelques jours, dans la même région. Ces morts au travail auraient dû alerter au niveau national, il n’en a rien été.
Mais l’affaire jugée il y a quelques jours, qui s’inscrit dans ce même contexte d’exploitation, concerne d’autres personnes. Le 14 septembre 2023, 57 travailleurs étrangers sont découverts dans un habitat insalubre, dans la Marne, dans «des conditions de vie et d’hébergement portant gravement atteinte à la dignité de ses occupants». Cette découverte par l’inspection du travail a eu lieu suite à l’alerte de riverains, choqués par la situation épouvantable dans laquelle vivaient ces hommes et femmes.
Ils et elles se trouvaient dans une maison abandonnée, dormant sur de vagues matelas posés sur un sol en terre battue, sans eau courante ni électricité, avec seulement six toilettes et au milieu d’installations électriques dangereuses. Un taudis, qui pousse la préfecture à fermer le bâtiment.
Ces travailleurs étaient réduits à l’état d’esclavage : ils travaillaient de l’aube à la nuit, à peine nourris, avec des repas minuscules ou avariés, sous la menace de couteaux et d’insultes. Lors du procès, des victimes le disent elles-mêmes : elles étaient traitées «comme des esclaves» ou «comme des animaux», avec une «pression constante pour accélérer la cadence».
Un café le matin, un sandwich parfois «pourri» ou «encore congelé» le midi, cinq kilos de riz le soir pour plus de 50 personnes. Un des hommes explique à la barre : «J’étais mal. Je n’ai pas mangé pendant deux jours, j’ai eu des maux de tête». Et pour aller jusqu’au bout de l’ignominie, ces exploités n’ont pas été payés : on leur avait promis une paie à 80 euros par jour, la grande majorité n’a pas touché un centime. Tous sont sans-papiers, souvent venus d’Afrique de l’Ouest. Il y a 9 femmes. Certains sont encore mineurs, et le plus âgé a plus de 60 ans.
En août 2018 déjà, 48 étrangers recrutés pour les vendanges avaient été découverts, logés dans des conditions indignes. Le même été, des gendarmes trouvaient à Oiry, dans la Marne, 77 autres saisonniers, majoritairement Afghans, hébergés dans une insalubrité «contraire à la dignité». Ces pratiques sont donc monnaie courante dans le vignoble le plus connu du monde, qui vend du champagne hors de prix.
Comment fonctionne ce système esclavagiste ? Par un mécanisme de sous-traitants : les vignerons ne recrutent pas eux-mêmes les victimes, ils font appel à des entreprises sans scrupule qui font le sale boulot à leur place. En l’occurrence, pour l’affaire de 2023, la société de prestation agricole Anavim. C’est une gérante de cette entreprise et ses gros bras qui ont été condamnés le 21 juillet. Sauf que la firme fournit chaque année une large partie des 120.000 travailleurs qui viennent pour les vendanges du champagne.
C’est un système organisé : les producteurs de champagne profitent d’une main d’œuvre à bas coût et ferment les yeux sur leur provenance, et ces entreprises fournissent de la chair à patron tout en empochant les gains. Tout en bas de la chaîne, des hommes et des femmes triment dans des conditions inhumaines, en insécurité totale, avant d’être jetés et menacés d’expulsion par l’État et ses politiques racistes. Le champagne a un drôle de goût.
Mais quels sont les vignobles concernés ? Quelle marque de champagne ? Les grands médias ont bien pris soin de ne pas le mentionner, et cela n’a même pas été au cœur du procès. Heureusement, le média Basta a mis en lumière le haut de la chaîne. Au procès, le vigneron convoqué a fini par le reconnaître : il s’agit de Moët et Chandon et Veuve Clicquot, propriétés de Bernard Arnault via LVMH. «Tous les prestataires, on travaille plus ou moins pour eux» a-t-il même déclaré. Les profits d’un ultra-riche réalisés par la sueur et la souffrance des exploités parmi les exploités.
Cette année, LVMH a annoncé la suppression de 1200 postes dans sa branche «vins et spiritueux», ce qui représente 12% des effectifs de la firme Moët Hennessy, alors que le groupe LVMH a enregistré 84,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, dont 12,6 milliards de bénéfices et 7 milliards reversés aux actionnaires. Aucune fortune n’est innocente : l’argent est prélevé, de façon plus ou moins violente et malhonnête, à chaque niveau de la chaîne de production et de vente.
Cette affaire souligne l’hypocrisie du patronat de la vigne. Bernard Arnault est un macroniste féroce, il accompagne donc les politiques anti-immigrés du gouvernement en place, tout en profitant d’une main d’œuvre sans papiers, et donc vulnérable. Dans le même registre, il y a le député du RN Grégoire de Fournas. Souvenez-vous, c’est celui qui avait crié «retourne en Afrique» au député Carlos Bilongo à l’Assemblée Nationale le 3 novembre 2022.
Ce monsieur aussi est vigneron, il a hérité du terrain de son papa dans le Sud-Ouest. Au Front National, il était lié aux «franges les plus racistes et antisémites de son audience sur sa page Facebook» et avait manifesté contre un centre d’accueil avec la banderole «Clandestin aujourd’hui terroriste demain ?» Le maire de Pauillac, la ville où se trouvent les vignes de Grégoire de Fournas, expliquait : «Il se prétend défenseur du Médoc contre l’immigration, dit préférer l’emploi local et être vent debout contre les prestataires viticoles, mais lorsque que vous avez le dos tourné, Monsieur de Fournas utilise de la main-d’œuvre étrangère à bas prix, qu’elle soit roumaine ou portugaise. Quand il est pris la main dans le pot de confiture, sa seule excuse est que ‘c’est exceptionnel !’» Un exemple de plus de ces patrons racistes qui exploitent la main d’œuvre immigrée et précaire tout en réclamant plus d’expulsions. Les politiques xénophobes sont les meilleures alliées du capitalisme sauvage.
Pour finir, face à ces vignerons sans foi ni loi, on peut rappeler une action fabuleuse organisée à la fin du mois d’août 2022 contre Bernard Arnault. Des vendanges particulières avaient eu lieu dans le Var, sur une parcelle de vignes rachetée par LVMH, sur le terrain du château d’Esclans, qui produit du vin baptisé «Whispering Angel», l’un des rosés les plus chers du monde. Il s’agissait de vendanges sauvages, menées par 300 personnes qui se sont rendues au milieu des vignes à l’appel de la Confédération Paysanne et des Soulèvements de la Terre pour protester contre l’accaparement des terres agricoles par une minorité de privilégiés.
«On reprend la terre et ses fruits !» déclarait le collectif après la récolte. Les vendangeurs et vendangeuses étaient allé.es presser le raisin fraîchement cueilli pour en faire une cuvée spéciale, qui a servi à soutenir la lutte pour protéger les terres agricoles, empêcher leur accaparement et pour une viticulture paysanne. À quand des vendanges anti-racistes ?
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