Jeudi 18 septembre, il fait un temps estival sur Nantes. Les conditions semblent idéales pour transformer le premier Acte réussi, celui du 10 septembre, impulsé par des centaines de groupes auto-organisés sur tout le territoire, en déferlante. L’opinion est massivement favorable au mouvement social, Macron et son gouvernement battent des records d’impopularité, et le mouvement «Bloquons tout» a réussi à mobiliser au-delà des attentes une semaine plus tôt. L’appel à la grève générale conjugué aux actions décentralisées ouvre de nombreux espoirs.
Pourtant, rien ne s’est passé comme prévu. À l’aube, six rendez-vous ont été lancés pour bloquer l’agglomération nantaise. C’est trop : les groupes sont dispersés, trop peu nombreux, alors que le dispositif policier est toujours aussi massif et agressif. De plus, ces actions n’ont pas été rejointes par les grévistes : l’appel à manifester le matin dans le centre-ville semble avoir démotivé les éventuels renforts sur les blocages. Résultat : les regroupements sont démantelés les uns après les autres. Seules réussites, une grande barricade enflammée sur le périphérique ouest par des anonymes qui ont agi par surprise, et plusieurs blocus lycéens.
À 10h30, le miroir d’eau est noir de monde : plus de 20.000 personnes sont déjà massées sur l’esplanade ensoleillée. Malgré cette mobilisation des grands jours, l’ambiance générale est à la promenade tranquille et encadrée. D’ailleurs, le parcours s’engage, comme trop souvent, dans les grandes avenues que la police sait si bien contrôler, à l’écart de tout lieu symbolique.
Un cortège jeune et dynamique prend la tête de la manifestation, quelques fumigènes crépitent, une poignée de tags apparaissent sur les murs. La routine. Mais cette fois-ci, c’est la stupeur : au bout de quelques minutes de marche à peine, au premier croisement, une horde de CRS agresse le cortège. Grenades explosives, gaz, charges à coup de matraque. Il ne s’est pourtant rien passé. À présent, même un défilé pépère subit les attaques de la police. Retailleau l’a déclaré lors d’une interview télévisée : «On les encercle et on les tape».
Plusieurs centaines de personnes sont coupées du reste du cortège. Tout le monde semble démuni. Le camion syndical de Solidaires s’avance courageusement et permet de ressouder la manifestation. Mais quelques dizaines de mètres plus loin, même scénario : une attaque policière encore plus massive, de tous les côtés. Le nombre d’hommes armés semble illimité, il y en a même le long de l’Erdre, en escadrons, prêts à attaquer sur un flanc supplémentaire.
La situation devient lunaire. Des charges sans but s’enchaînent autour du cortège syndical. Des salves de gaz tombent régulièrement. L’objectif est visiblement de briser la manif, mais sans échappatoire, alors que des milliers de personnes continuent à s’agglutiner. Heureusement, la foule reste solidaire, une enceinte roulante donne du son et de la joie, le camion de Solidaires ne recule pas. Mais la manifestation reste totalement bloquée pendant près d’une heure. Le parcours officiel, qui devait s’engager vers la place Talensac, est empêché. On a beau être habitué aux violences d’État à Nantes, une telle brutalité gratuite et un tel mépris des syndicats par la police sont probablement inédits.
Bon gré mal gré, le défilé redémarre dans une ambiance toujours plus anxiogène, cerné d’énormes lignes policières cagoulées prêtes à attaquer à tout moment. Près d’Hôtel Dieu, c’est à nouveau un déluge de grenades qui s’abat sur le cortège qui ne fait que poursuivre son avancée. Rarement une manifestation aura été aussi inoffensive, et rarement la répression aussi implacable. C’est en tout cas la démonstration que c’est toujours l’État qui définit le degré de violence, et pas d’éventuelles dégradations ou actions. On peut même supposer que les forces de l’ordre se sont régalées, constatant la faiblesse de la riposte et le manque de protection des manifestant-es, pour en rajouter dans l’humiliation.
C’est avec la rage au cœur que la manifestation se dispersera progressivement en début d’après-midi, dans une ville totalement verrouillée. D’après les récits venus d’autres villes, le même scénario s’est reproduit un peu partout.
À 16h, une Assemblée réunit tout de même plus de 500 personnes Place Graslin, mais elle peine à poser des perspectives au-delà d’un constat collectif d’impuissance. Pourtant, ce 18 septembre a fait le plein, et l’envie de s’organiser par la base reste très forte. Le soir, les directions syndicales nationales annoncent qu’elles n’appelleront même pas à une autre date, et attendent que Lecornu leur donne de ses nouvelles. C’est donc encore pire que pendant le mouvement des retraites et la stratégie de grèves isolées. Il faudra bousculer l’intersyndicale pour obtenir un appel à la grève reconductible.
L’avenir est donc entre les mains du mouvement. Déjà, partout, des groupes s’organisent, des Assemblées de quartier de réunissent, les manifestant-es réfléchissent aux nouvelles modalités d’action. Et la répression n’a pas entamé la détermination.
Photos : @Attentionaupoteau, Estelle Ruiz, CA
Notre vidéo de la manifestation ici.
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