Dans l’imaginaire médiatique français, l’Angleterre est un modèle libéral sur le plan économique et un exemple de calme, respectant par dessus tout la propriété. Depuis une semaine, le royaume est désuni : il est traversé par les plus graves émeutes depuis plus de 10 ans. Et il s’agit d’émeutes racistes, avec des groupes d’extrême droite qui attaquent des commissariats, des librairies, pillent des magasins, tabassent des personnes non-blanches et s’en prennent à des mosquées. Cette flambée de violence ne vient pas de nulle part. Quelques explications.
Comment en est-on arrivé là ?
Il y avait des signes avant coureurs. D’abord, une percée fulgurante de l’extrême droite aux dernières élections. Les médias français ont présenté le scrutin en Angleterre en juillet comme un «raz-de-marée de gauche». C’est un mensonge complet. D’abord parce que «la gauche» outre-Manche se situerait entre Valls et Darmanin chez nous. Le «Labour», équivalent du PS, a tout trahi encore plus tôt que les socialistes français.
Ce parti a mené des politiques d’une violence sociale absolue dès les années 1990, en appliquant les programmes ultra-libéraux et sécuritaires qu’avait entamé la droite. Le mouvement social anglais ne s’est jamais vraiment relevé de Margaret Thatcher. Il n’y a pas de grand parti de gauche radicale et le Labour a purgé les personnalités qui gardaient encore des convictions sociales et anti-racistes, comme Jeremy Corbin.
Le parti qui vient de revenir au pouvoir est donc un équivalent du macronisme. Et ce Labour a régressé en nombre de voix : il est passé de 40% en 2017 à 34% en 2024. S’il a obtenu la majorité des sièges, c’est parce que l’extrême droite a augmenté comme jamais : elle est passée de 1,8% à 14% en pompant les voix de la droite classique.
Si cette victoire ne se traduit pas encore en termes de sièges, ce n’est que grâce à un scrutin majoritaire à un tour très peu démocratique. La vraie victoire idéologique est à l’extrême droite. Et c’est relativement nouveau en Angleterre, qui en était jusqu’ici préservée et où il y avait une tradition de rejet du fascisme, contrairement à la France où les médias font la promotion du FN depuis 40 ans.
Berceau du néolibéralisme
Le Royaume-Uni est un pays dévasté par le capitalisme. L’an dernier, le scorbut et le rachitisme y ont fait leur réapparition à cause de la précarité alimentaire. L’espérance de vie recule. Le système de santé est dans une crise encore plus profonde qu’en France. L’école est en lambeaux, le code du travail n’existe pas. Il n’y a plus de communs.
L’Angleterre, berceau du libéralisme, a longtemps vanté son «melting pot», mais sans chercher à créer de cohésion. En tant qu’empire colonial, le pays comporte d’importantes minorités issues de l’immigration. Les gens ne vivent pas ensemble, mais ils cohabitent les uns à côté des autres, comme aux USA.
Quand une société n’est plus qu’une somme de groupes et d’individus qui se connaissent peu, ne partagent rien, et qu’en plus ils sont mis en concurrence, le résultat ne peut être que funeste. Le pays avait d’ailleurs déjà connu des flambées de violences racistes venues des blancs déclassés dans les années 1970, lors des premières crises économiques. Un régime qui renonce à diminuer les inégalités sociales encourage toujours les inégalités raciales.
Radicalisation de la droite
Depuis quelques années, le parti Conservateur – l’équivalent de LR – s’est radicalisé et a lancé un projet de “remigration” des personnes exilées au Rwanda. L’idée était d’expulser les demandeurs d’asile arrivés illégalement, quel que soit leur pays d’origine, vers ce petit État d’Afrique. Le rêve de candidats comme Zemmour.
En parallèle, les politiques de «refoulement» des exilé-es qui traversent la Manche sont toujours plus dures depuis le Brexit. Une répression en mer, en partenariat avec la France, qui cause des dizaines de morts chaque année.
Quant aux émeutes racistes, il y en a déjà eu en Irlande en novembre dernier, après une attaque au couteau à Dublin. Ces violences d’extrême droite avaient été encouragées par le champion de MMA Conor Mc Gregor, qui avait publié des tweets haineux. Des protestations, parfois violentes, contre des centres d’accueil pour migrant-es ont aussi été organisées ces dernières semaines. Longtemps marginalisée chez nos voisins, l’extrême droite violente s’organise et passe à l’acte.
Exploitation d’un horrible fait divers
Cette fois-ci, c’est le crime horrible commis dans une école par un adolescent britannique le 29 juillet qui a mis le feu au poudre. L’assassin, d’origine rwandaise, a tué 3 fillettes. Un acte insoutenable, immédiatement récupéré par l’extrême droite. Celle-ci a multiplié les fake news sur internet, en prétendant qu’il s’agissait d’un attentat commis par un migrant islamiste, alors que le mis en cause est chrétien et est né au Pays de Galle.
Ce sont les réseaux liés à Tommy Robinson, ancien nazi du Parti National Britannique – BNP – puis chef de la Ligue de défense anglaise – EDL – un groupe islamophobe et raciste fondé en 2009, qui ont mené la campagne et ont encouragé ces émeutes.
Il faut préciser que Robinson est aussi un supporter fanatique d’Israël, où il s’est rendu plusieurs fois. Il a même posé, armes à la main, sur un tank israélien en 2016, manifesté pour soutenir Israël ces derniers mois, ou encore posé avec des T-shirts de l’armée israélienne et du Mossad. Cela confirme une tendance qui se dessine dans tout l’occident : l’alliance internationale des fascistes pour installer partout la haine anti-arabes et créer une guerre de civilisation d’une prétendue civilisation “judéo-chrétienne” contre les musulmans.
Explosion raciste
Ces cortèges ont réuni des milliers de personnes dans tout le Royaume-Uni, bien au-delà des cercles traditionnels de l’extrême droite.
Les attaques se sont généralisées contre les étrangers et contre l’Islam, en particulier depuis vendredi 2 août. Contrairement à ce qu’on peut voir en France, où les fascistes sont main dans la main avec les forces de l’ordre, l’extrême droite anglaise a affronté la police, brûlé des voitures et même incendié un commissariat. Le mode opératoire se rapproche plus du hooliganisme que de manifestations classiques.
Et ces violences sont facilitées par l’inaction d’agents anglais, bien moins nombreux et équipés qu’en France, qui subissent les caillassages sans même utiliser de lacrymogène, et laissent parfois des bâtiments se faire piller.
À Liverpool, Manchester, Nottingham, Rotterham, Southport, Sunderland, Blackpool… des milices blanches ont ainsi multiplié les violences, cassant des magasins et des maisons appartenant à des minorités, tabassant parfois au hasard des personnes non blanches, installant des check points qui ne laissaient passer que les voitures conduites par des blancs, ont attaqué des hôtels accueillant des migrants… Même à Belfast, en Irlande, un cortège arborant des drapeaux anglais et irlandais a défilé avec des slogans racistes.
Un responsable conservateur, Byron Davies, a estimé que ces émeutes sont «politiquement justifiées». Dans un pays qui déteste le désordre et les atteintes aux biens, cette prise de position d’un homme de la droite “classique” démontre la radicalisation à l’œuvre.
Quelles sont les ripostes ?
Quelques cortèges antifascistes se sont organisés dans les villes marquées à gauche, et des milices d’autodéfense musulmanes, plus nombreuses et organisées, se sont constituées, affrontant à leur tour des racistes réels ou supposés dans les rues. Ainsi, l’extrême droite pense enfin avoir la «guerre civile» entre communautés dont elle rêve tant.
Néanmoins, l’ampleur des mobilisations pour la Palestine en Angleterre depuis cet automne, réunissant plus de 500.000 personnes, laisse présager des réponses anti-racistes plus massives dans les rues ces prochains jours. De leur côté, les fascistes appellent à de nouvelles actions ce mercredi.
La situation en cours semble inédite en Europe de l’ouest par son ampleur et sa diffusion dans tout un pays réputé calme et tolérant. Les hooligans d’extrême-droite anglais ont réussi à faire ce dont rêvaient les nazis français lorsqu’ils avaient tenté, sans succès, de récupérer la mort de Thomas ou celle de Lola. C’est à dire précipiter une «guerre raciale» et renforcer les fractures communautaires.
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