Filature, balises GPS et surveillance pendant des semaines pour un tag pro-palestinien


Délire répressif et « apologie du terrorisme » : des moyens d’enquête délirants pour quelques tags et une banderole en soutien à la Palestine


Une main tenant une bombe de peinture pour réaliser un tag : un geste qui justifie une surveillance délirante.

Y a t-il un mot plus galvaudé de nos jours que celui de «terrorisme», et de son corollaire, la désormais diabolique «apologie du terrorisme», qui permet d’accuser n’importe quel opposant politique ?

Posons rapidement les termes. Si aujourd’hui il n’existe pas de définition qui fasse autorité en droit international, le conseil de sécurité de l’ONU définit ainsi le terrorisme : «des actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire». Daesh est par exemple reconnu aujourd’hui comme un groupe terroriste. Mais l’on pourrait appliquer ce qualificatif à l’armée israélienne qui massacre elle-aussi pour semer la terreur, mais aussi à tous les régimes autoritaires, et plus largement, à tous les États de cette planète, qui par essence ont déjà utilisé au cours de leur histoire la violence pour faire peur et s’imposer.

Quant au délit «d’apologie du terrorisme», il ne dispose pas de définition légale non plus. C’est pratique : de ce fait on peut y mettre un peu tout et n’importe quoi. En jurisprudence, on retient que c’est le «fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes».

C’est pourquoi nous devrions nous alarmer des informations que Mediapart révèle cette semaine concernant une jeune femme soupçonnée d’apologie du terrorisme pour des faits datant de l’automne 2023 dans la Drôme.

«Pendant plus de cinq semaines, Emma S., une potière et céramiste âgée de 24 ans, a roulé avec une balise GPS sous sa voiture. Sans qu’elle le sache, les gendarmes de la Drôme ont suivi en temps réel tous ses déplacements. Ils ont aussi planqué devant sa maison, épluché ses comptes bancaires et adressé des réquisitions aux opérateurs téléphoniques pour géolocaliser son numéro et identifier ses principaux contacts.» Des moyens délirants, pour ce qu’on est en droit d’imaginer être une grande criminelle.

Voyons les crimes reprochés donc : quelques tags en soutien à la Palestine «Stop au massacre à Gaza». Une banderole : «SOLIDARITÉ AVEC LES PEUPLES DE PALESTINE, pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes». Ces formes d’expression sont parfois les seules qui permettent à des personnes en France de manifester leur soutien aux Gazaouis massacré-es, d’essayer de secouer le sentiment d’impuissance devant un génocide qui se déroule sous nos yeux.

Voilà où nous en sommes rendus. Des milliers d’euros d’argent public gaspillés, une vie passée au crible avec des moyens invasifs, avec le soutien plein et entier de l’administration judiciaire, un juge qui donne des moyens illimités pour enquêter… sur une personne soupçonnée d’avoir fait des tags de soutien à un peuple assassiné sous les bombes israéliennes. Il paraît, selon les médias dominants, que la police manque de moyens. Bonne blague.

Nous le rappelions il y a quelques jours suite aux outrances du gouvernement contre un projet de loi des Insoumis visant à revenir à l’ancienne classification de l’apologie du terrorisme, à savoir un simple délit de presse : le délit d’apologie du terrorisme ne sert qu’à criminaliser celles et ceux dont la parole dérange. Tout comme le terme d’«écoterrorisme» a été inventé afin de légitimer la répression délirante que subissent les militant-es écologistes.

Revenons à Emma : les détails de l’enquête sont inquiétants de bêtise. C’est une image de vidéosurveillance dévoilant la plaque d’immatriculation du véhicule de la dangereuse tagueuse qui sert de point de départ à la procédure. On apprend notamment qu’une balise GPS a été placée sous la voiture d’Emma afin, officiellement, de localiser son adresse. Sauf que la balise a été posée alors que la voiture était déjà garée chez elle…

Son avocate confirme : «L’adresse qu’ils cherchent, et où ils viennent poser la balise, est son adresse fiscale. Il suffisait d’envoyer une demande à l’administration fiscale pour en avoir confirmation». Nul besoin de géolocaliser ses déplacements.

Les gendarmes demanderont même l’autorisation du parquet pour utiliser la balise un mois de plus, incapables de déterminer laquelle des maisons étaient la sienne… Incompétence crasse.

Les pièces à conviction sont également bien pauvres : une publication de notre média Contre Attaque, une page de podcasts de Radio France sur l’extrême gauche des années 1970, un «appel international à une semaine d’action contre toutes les guerres» et un photomontage «Nique le capital» sont versés au dossier. Enfermez donc cette dangereuse personne qui s’informe ailleurs que sur Cnews !

Ensuite, les «enquêteurs» feront tout pour tenter de caractériser un acte prétendument antisémite. D’abord en questionnant la religion des propriétaires des maisons sur lesquelles les tags ont été faits. Manque de pot : ils se considèrent comme «catholiques». Puis la tagueuse est arrêtée et subit des interrogatoires. On lui demandera sa religion, ses opinions sur la situation à Gaza, etc. Mais Emma use de son droit à garder le silence.

Finalement, devant le vide abyssal du dossier, elle ne sera jugée que pour dégradations légères, outrage aux forces de l’ordre pour avoir écrit «ACAB», et pour son refus de donner ses empreintes et son ADN. Tout ça… Pour ça.

Cette histoire pourrait paraître risible, mais elle est au contraire gravissime et devrait nous alerter sur l’état de déliquescence de la liberté d’expression et de la justice en France.


La paranoïa autour de l’apologie du terrorisme et le soutien inconditionnel de l’appareil étatique français à Israël, alors même que Netanyahou est à l’heure actuelle sous le coup d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, conduit des dizaines de personnes devant les tribunaux. Il est temps d’arrêter le délire.


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