France Inter : effondrement des audiences après les purges idéologiques organisées par la direction


Chronique d’un sabotage macroniste et de l’extrême droitisation des médias


Sibyle Veil, PDG de Radio France qui transforme les services publics en copie de CNews.

Les néolibéraux utilisent partout la même recette : prendre un service public qui fonctionne bien, baisser ses moyens et nommer des managers incompétents, puis ensuite utiliser le manque d’efficacité du service public qu’ils ont eux-mêmes saboté pour le privatiser. Ils l’ont fait à La Poste, dans les universités ou à la SNCF. Cette méthode est aussi appliquée dans les médias, avec en prime, un choix éditorial toujours plus à droite.

Prenez la radio France Inter, championne des ondes, qui battait tous les records d’audimat ces dernières années. Son audience vient de s’effondrer : 458.000 auditeurs et auditrices quotidiens en moins l’année passée. Au sein de la radio, les salarié·es dénoncent une «confusion éditoriale», un «management brutal» et la crainte que Radio France «perde son âme». En réalité, c’est toute la maison Radio France qui subit une hémorragie. France Info perd 76.000 auditeurs et auditrices, France Culture en perd 162.000 et France Bleu 369.000. Qui trouve-t-on à la tête de ce naufrage ? Deux macronistes de choc.

En tant que PDG de Radio France : Sibyle Veil, énarque qui s’est engagée auprès de Nicolas Sarkozy dès 2007, puis qui a été chargée de «restructurer» les hôpitaux de Paris en pleine vague de restrictions budgétaires dans la Santé, avant d’être envoyée dévaster la radio publique à partir de 2018. Elle fait partie de cette noblesse d’État qui va de poste en poste pour appliquer l’agenda néolibéral. Elle était aussi copine de promotion de Macron, qui l’a nommée à la tête de ce grand pôle de radio publique française. En effet, c’est l’Arcom qui décide de la direction de Radio France, mais la présidence de l’Arcom est elle-même choisie par le président. Un vrai ruissellement entre copains.

En 2022, Sibyle Veil nomme Adèle Van Reeth à la tête de France Inter. Cette dame est en couple avec un certain Raphaël Enthoven, faux philosophe et vrai propagandiste macroniste, qui a déclaré qu’il préférait voter pour Le Pen que Mélenchon à la dernière élection présidentielle. Pourquoi préciser le CV de ces deux dirigeantes ? Car elles ont organisé une grande purge idéologique dans les médias qu’elles dirigent.

Sur France Inter, les humoristes à succès ont été liquidés. En juin 2024, Guillaume Meurice est viré pour avoir ironisé sur le génocidaire Netanyahou, ce qui provoque la démission de plusieurs autres comiques de la station. À la place, c’est l’influenceuse pro-Israël et mythomane «Marie s’infiltre» qui est embauchée. Elle est si peu drôle qu’elle a depuis été mise au placard, tellement elle faisait fuir les auditeurs. Cette purge a lieu à tous les étages : l’émission satirique «Si tu écoute j’annule tout», plus tard renommée «Par Jupiter», se moquant régulièrement des dirigeants à une heure de grande écoute, avait atteint en 2022 la meilleure audience de la station avec 1,3 million d’auditeurs en moyenne. Et devinez ce qu’a fait la direction ? Elle a tué l’émission.

L’émission quotidienne «La Terre au carré», qui parle d’écologie et d’environnement en début d’après-midi, riposte aux discours climato-sceptiques et donne de l’audience à différentes causes écologistes, a été menacée de suppression puis finalement reprogrammée grâce à la pression des auditeurs. Une capsule hebdomadaire, «C’est bientôt demain», animé par un journaliste historique de la radio, Antoine Chao, et qui traite de l’actualité des luttes et mobilisations environnementales et sociales, va lui aussi disparaître cette saison. Le social et l’écologie sont en sursis.

À la rentrée 2025, Adèle Van Reeth nomme Benjamin Duhamel pour présenter la matinale : présentateur star de BFM, fils de la propagandiste Nathalie Saint Cricq et du grand patron des médias Patrice Duhamel, sa ligne éditoriale est composée d’éléments de langage permanents contre tout ce qui peut se rapprocher de la gauche. Résultat donc : une baisse massive de l’audience de France Inter. Mais c’était probablement l’objectif.

Chez France Info, le service public est carrément en train de doubler Cnews sur sa droite. Depuis l’an dernier, la nouvelle directrice se nomme Agnès Vahramian, qui partageait carrément une publication pro-Trump sur les réseaux sociaux avec son compte officiel. Auparavant, Vahramian avait travaillé chez France 2. Un ancien grand reporter de la chaîne avait rappelé à quel point elle était «odieuse, humiliante, cassante», à l’humeur toujours changeante. D’autres salarié·es ont dénoncé un climat de terreur, des crises de larmes, des comportements assimilables à du harcèlement moral alors qu’elle les dirigeait. Agnès Vahramian n’a jamais été sanctionnée pour ses méthodes, elle a été promue.

Le plateau de France Info est désormais composé de chiens de garde enragés, par exemple Agathe Lambret : elle a passé dix ans sur BFM avant de rejoindre France Info. Par un étonnant hasard, c’est aussi la compagne de Benjamin Duhamel. Cette éditorialiste fait subir des interrogatoires musclés aux invités de gauche et cire les pompes de l’extrême droite.

On trouve aussi Alix Bouilhaguet, qui vient de provoquer un scandale sur les réseaux sociaux : alors que l’insoumis Manuel Bompard était convié sur son plateau, elle a balancé pas moins de 4 mensonges en quelques secondes à propos du nouveau maire de New York, qu’elle a notamment accusé de «vouloir faire la guerre aux juifs». Mensonges démontés calmement par l’élu de gauche, mais tout de même : des journalistes payés par l’argent public peuvent dérouler des rafales de mythos trumpistes en toute impunité.

France Info, c’est aussi un média dont certaines émissions sont désormais intégralement animées par d’anciens chroniqueurs de Cnews, comme «Le pour et le contre», qui consiste à faire «débattre» des nuances d’extrême droite entre elles.

Pourquoi prendre le temps de détailler ce naufrage méthodique ? Car il est la preuve que la droitisation des médias n’a pas pour but de «faire de l’audimat» ou de «répondre à une demande». Dans la vision libérale, les médias seraient un grand marché de l’opinion, et s’adapteraient aux consommateurs. Or, la quasi-totalité du paysage médiatique français, public comme privé, est désormais néofasciste ou en phase de le devenir. Si vraiment les médias répondaient à la loi de l’offre et de la demande, il y aurait de grands médias de gauche dans ce pays.

Il y a 20 ans, France 2 a imposé Eric Zemmour en prime time, et a ainsi lancé sa carrière politique. Les défenseurs de cette émission disaient que l’équipe de Laurent Ruquier ne faisait pas cela par idéologie mais uniquement pour satisfaire un certain public, et que les propos fasciste à l’antenne permettaient de créer du «buzz». Cette explication est fausse, car les rares propos anticapitalistes qui se fraient un chemin dans les grands médias ont bien plus d’écho que ceux des fascistes.

Prenez les quelques punchlines lancées par Philippe Poutou à la présidentielle de 2017 : il avait malmené Le Pen et Fillon en les traitant de voleurs. On s’en souvient encore 8 ans après. Il n’est pourtant jamais invité, alors qu’il ferait exploser l’audimat. On pourrait multiplier les exemples : sachant que l’écrasante majorité de la population soutenait les Gilets jaunes, le mouvement pour les retraites ou Bloquons tout, pourquoi aucun chroniqueur anticapitaliste, favorable à ces mouvements, n’est recruté, si l’on prétend entendre «toutes les opinions» ? La réponse est simple : les directions médiatiques ont uniquement pour but de préserver les intérêts de la classe dominante.

C’est le cas chez France Inter et France Info. Ces médias publics marchaient bien, il n’y avait pas de raison de modifier leur ligne. Pourtant leur direction a organisé des purges, excluant tous ceux qui ne prêtaient pas allégeance à l’axe allant de Macron à Le Pen, et les ont transformé en Cnews sur fonds publics. Il y a quelques jours, les salariés de Radio France publiaient une tribune pour se plaindre «d’un mal-être profond» au sein des équipes de la première radio de France».

S’il ne s’agit pas de quête d’audimat, alors il s’agit bien d’idéologie. Les médias privés comme publics ont fait le choix conscient d’inonder leurs plateaux d’intervenants de droite et d’extrême droite, et d’effacer toute parole de gauche. Il y a pourtant un espace médiatique à prendre. La preuve, Radio Nova – pourtant privée – qui a recruté Guillaume Meurice et les autres humoristes chassés de France Inter, connaît des records d’audience et la plus forte progression sur un an toutes radios confondues. Notre camp ne perd pas la bataille des idées, c’est la caste à la tête des grands médias qui nous fait croire que ses propres idées seraient majoritaires.


Lisez et soutenez les médias indépendants !


AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.