Hamas et défenseurs des arbres : même combat
Le mot «terrorisme» est utilisé d’une manière tellement absurde et extensible qu’il a démontré qu’il ne voulait rien dire.
Le terme «terrorisme» est attesté pour la première fois en novembre 1794. Il désigne alors la «doctrine des partisans de la Terreur», c’est un mode d’exercice du pouvoir et pas un moyen d’action contre lui. De nos jours, le terrorisme désigne «l’emploi de la terreur à des fins idéologiques, politiques ou religieuses». De fait, tous les États du monde, toutes les armées, toutes les polices utilisent la terreur à des fins idéologiques.
D’un côté, le «terrorisme» tel qu’on l’utilise dans les médias serait l’incarnation du mal absolu, de la violence nihiliste la plus extrême, la figure du monstre qu’il faut éliminer, et en même temps la définition du terrorisme est de plus en plus vaste, elle concerne de plus en plus de groupes différents.
Aux Etats-Unis, après la mort de George Floyd, Donald Trump proposait de classer la mouvance «antifa» comme «terroriste». À Atlanta, pour réprimer une mobilisation contre un projet de centre policier détruisant une forêt – COP City – les opposants ont été inculpés pour «terrorisme domestique». À l’occasion d’un déplacement à une foire du livre à Londres, un représentant de la maison d’édition La Fabrique a été arrêté arbitrairement en vertu de lois antiterroristes durant le mouvement social sur les retraites.
En France, plusieurs procédures «anti-terroristes» ont visé les luttes sociales : celle contre le «groupe de Tarnac» en 2007, une bande d’amis partageant des opinions politiques dissidentes, qui a abouti à une relaxe générale. Une autre, le 8 décembre 2020, contre plusieurs personnes ne se connaissant pas toutes mais liées à un ancien combattant français parti au Rojava, pour soutenir les kurdes et combattre les terroristes de Daesh en Syrie. L’État français invente donc le «terroriste anti-terroriste». Le dossier totalement vide, jugé en octobre, ne repose sur rien d’autre que les idées anticapitalistes des personnes arrêtées. Il a pourtant coûté des années de liberté aux personnes visées.
«L’antiterrorisme» est un récit. Depuis l’année dernière, les dirigeants français parlent même «d’écoterrorisme». Et ils frappent en conséquence : on se souvient de la descente de police anti-terroriste contre les Soulèvements de la Terre le 20 juin dernier.
La semaine dernière, l’absurdité du concept de terrorisme a atteint son apogée. Le Hamas et les opposants à une autoroute ont été chacun qualifiés de «terroristes». D’un côté, les macronistes ont aboyé en meute pour que le Hamas soit qualifié de «groupe terroriste» plutôt que de «criminels de guerre» – une définition conforme au droit international et beaucoup plus précise. En fait, qualifier le Hamas ainsi justifiait, dans le narratif occidental, une guerre «anti-terroriste», c’est-à-dire pouvant s’émanciper des règles internationales contre la bande de Gaza. Ce vocabulaire rendait donc légitime aux yeux de l’opinion la mort de milliers de personnes, dommages collatéraux de l’anti-terrorisme.
De l’autre côté, la députée macroniste Olga Givernet, en évoquant la mobilisation contre un projet routier entre Castes et Toulouse, qualifiait les manifestant-es d’«éco-terroristes qui n’ont rien d’écologiques». Un même parti, au même moment, exige qu’on désigne par le même mot un groupe ayant tué des centaines de personnes et des personnes qui défendent des arbres. Il met sur le même plan des écolos ou des djihadistes, des meurtres de masse et des idées, des actes déjà commis et des projets. Cette grande confusion a un but : pouvoir «neutraliser» toutes les personnes désignées comme terroristes.
Ce mot est piégé, vide, il faut l’éviter autant que possible. Si le Hamas et les Soulèvements de la Terre sont tous deux identiquement «terroristes», alors plus rien n’a de sens. Plus rien n’est réellement grave. Ou alors tout l’est.
Pourtant, l’écoterrorisme est enseigné jusque dans les écoles de police. Le directeur du centre français de recherche sur le renseignement Eric Denécé, auteur d’un livre sur le sujet, est intervenu devant les lieutenants de police pour les former. Le site internet de l’École Nationale Supérieure de Police raconte la formation. Denecé a raconté aux futurs gradés que «nos sociétés étaient impactées par un triple phénomène : la perte de repères, l’accroissement du temps libre et l’impact du numérique» ce qui produirait «dans un souci d’action immédiate ou par un activisme assumé, des individus s’approprient de nouvelles causes à défendre comme l’altermondialisme, l’écologie, le droit des animaux…» Voilà le terrorisme selon la hiérarchie policière.
On pouvait imaginer naïvement que les vrais écoterroristes étaient les multinationales qui dévastent notre planète et n’hésitent pas, dans les pays du Sud, à assassiner les défenseurs de la nature, mais non. Il s’agit de militants occidentaux en «perte de repère». Et voilà qui justifierait un arsenal répressif inouï, des blindés aux dissolutions, des grenades explosives à la surveillance et aux descentes de policiers d’élite.
Une réflexion au sujet de « L’écoterrorisme enseigné en école de police »
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